La Russie a su instrumentaliser la production de céréales à des fins géopolitiques, permettant d’affaiblir l’Union européenne en la faisant passer pour responsable des pénuries au niveau mondial. L’agriculture est devenue un enjeu stratégique permettant de renforcer les positions de Moscou, quitte à pratiquer une désinformation massive.
Vers une diplomatie du grain : détention de l’arme alimentaire par la Russie
Grain Diplomacy: Russia Wields the Weapon of Food Supply
Russia has managed to manipulate cereal production for geopolitical ends, which have allowed it to weaken the position of the European Union by presenting the latter as responsible for global-level shortages. Agriculture has taken on a strategic aspect which has let Moscow strengthen its position, to the extent of indulging in massive disinformation campaigns.
La guerre en Ukraine a des conséquences bien au-delà de ses frontières et a plongé l’avenir de la sécurité alimentaire mondiale dans le noir, menaçant de créer une « vague sans précédent de faim et de misère dans le monde » (1). Les deux belligérants représentent à eux seuls 30 % des exportations mondiales de blé, 20 % du commerce d’orge et 75 % de l’huile de tournesol (2), tandis que 45 des pays les moins avancés au monde importent près de la moitié de leurs céréales d’Ukraine ou de Russie. L’invasion russe a provoqué le blocus des ports ukrainiens, aggravant les besoins des pays et augmentant le cours de céréales, mais a aussi conduit à des destructions matérielles importantes du patrimoine agricole et au pillage des cultures et des réserves alimentaires. Le conflit a révélé la dimension géopolitique incontestable de l’alimentation.
Plus que jamais, « se nourrir n’est pas qu’une question agricole » (3) : les États et autres acteurs institutionnels, transnationaux et internationaux sont en première ligne pour garantir la sécurité alimentaire. Alors que tous s’accordent sur la nécessité d’une coordination internationale pour faire face à ce qui pourrait être « la pire crise alimentaire et humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale » (4), l’Occident et la Russie s’accusent mutuellement de mettre le monde en danger de famine. L’Europe et les États-Unis reprochent à Vladimir Poutine d’utiliser la faim comme « une arme de guerre » (5) auprès de pays dépendants, pendant que la Russie dénonce les sanctions européennes comme un frein aux exportations agricoles et voit un « nouveau rideau de fer » (6) se dresser.
« L’arme alimentaire a encore de beaux jours devant elle » (7), avait déclaré la présidente d’Action contre la faim, Stéphanie Rivoal, en 2015. Aujourd’hui, force est de constater que cette dernière ne s’est pas trompée. Faut-il craindre l’émergence d’un rideau de fer céréalier ? L’occasion ici de revenir sur les risques de l’instrumentalisation de l’alimentation sous fond d’invasion russe en Ukraine.
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