La relation entre les Français et leur armée fut complexe dans les années 1960-1980 avec un antimilitarisme latent très sensible dans l’opposition de gauche. Cette méfiance obligeait l’institution militaire à se transformer et à mieux prendre en compte les aspirations du contingent d’une part, et le besoin de reconnaissance pour les cadres d’active d’autre part. Ces mutations ont permis d’atteindre un consensus large autour de la défense.
Les Français et leur armée. De l’antimilitarisme au consensus sur la défense nationale (1968-1981)
The French and their Forces. From Anti-Militarism to the Consensus on National Defence (1968-1981)
The period from 1960 to 1980 witnessed a complex relationship between the French people and their armed forces. There existed a latent anti-military sentiment, notably among the politically left opposition. This distrust forced the military establishment to change and to take better account of the aspirations of conscripts and the need for improved recognition of career personnel. These changes resulted in broad consensus on defence matters.
Sous la présidence du général de Gaulle, la France a connu une profonde transformation de sa politique militaire et de sa stratégie de défense nationale. L’élaboration d’une nouvelle doctrine, la nucléarisation du système de défense, la modernisation des structures et des équipements, la refondation des rapports avec les alliés, ont radicalement changé l’organisation des forces armées au lendemain de la guerre d’Algérie. Mais, s’il est vrai que la politique menée dans les années 1960 a conduit à revoir le format des armées et, dans une certaine mesure, à repenser la place des militaires dans la nation, il reste que cette période fut aussi synonyme de mutations sociales rapides qui ont renforcé la distance entre l’institution militaire et la société française. Un plus grand libéralisme des mœurs et la recherche de l’épanouissement personnel, un désir d’autonomie des individus et une plus forte distance à l’égard de l’autorité ont conduit à souligner davantage encore la spécificité militaire et à en remettre en cause son acceptation sociale.
Produit d’une longue histoire, la mission confiée aux militaires par les autorités civiles a forgé une identité particulière. Celle-ci repose sur trois piliers : un engagement – le fait de combattre collectivement au nom d’une communauté politique et d’avoir « la mort comme hypothèse de travail (1) » ; des principes – l’ordre, l’autorité, la discipline et la hiérarchie – et enfin des contraintes propres au métier des armes – grande disponibilité, forte mobilité, vie communautaire, nécessité d’une autorisation pour se marier avec un étranger (jusqu’en 2005), système de limite d’âge et de retraite conduisant à des départs précoces, limites juridiques au droit d’expression.
Sans que la crise de Mai 1968 résume à elle seule cette transformation de la société, elle vient mettre en évidence les profondes transformations des modes de vie des Français et leur désir d’une autre organisation politique et sociale. La décennie qui suit, ce que les historiens ont pris coutume d’appeler « les années 68 (2) », a en effet placé les armées, perçues comme immobiles et conservatrices, en porte-à-faux avec le mouvement de la société. À ce titre, la crise antimilitariste des années 1970 peut surprendre au regard de la bonne image dont les forces armées jouissent aujourd’hui. Les sondages d’opinion montrent en effet invariablement qu’il s’agit d’« une des professions les plus plébiscitées par nos concitoyens (3) », une tendance qui remonte aux années 1990-2000 (4), mais qui trouve ses origines dans les mutations des années 1970.
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