La guerre de l’information est désormais une réalité majeure et permanente. L’image devient une arme aisément manipulable avec les outils numériques, permettant de désinformer à grande échelle. Les réseaux sociaux participent à cette accélération du désordre informationnel, au détriment de la vérité.
La nouvelle guerre de l’information
The New Information War
A major and permanent information war is now being waged. Imagery is becoming a weapon that is easily manipulated digitally to permit wide-scale disinformation. Social media are playing their part in the increasing rate of informational disorder to the detriment of the truth.
Les conflits qui embrasent le monde actuel ont mis en lumière une nouvelle guerre de l’information dont l’enjeu principal demeure la conquête des esprits. Cette bataille de la communication, qui dispose de moyens techniques de plus en plus performants, occupe essentiellement les champs des images, du secteur médiatique et de la cyberguerre.
Le piège des images
« Notre appartenance au monde des images est plus forte, plus constitutive de notre être que notre appartenance au monde des idées. » Cette réflexion lumineuse du philosophe Gaston Bachelard (1884-1962) reste d’une actualité brûlante et pourrait servir de référence à la civilisation de l’information dans laquelle nous sommes entrés brutalement à la fin du XXe siècle. Les images se sont en effet imposées comme des supports particulièrement efficaces de la communication contemporaine. Leur pouvoir affectif très fort procure une plus-value incontestable à l’information en flux continu qui submerge notre société depuis le développement exponentiel des technologies modernes. La charge émotionnelle qu’elles sont susceptibles de transmettre a un impact majeur pour agir sur le moral des populations et façonner une opinion. Néanmoins, ces armes de persuasion massive peuvent être manipulées, falsifiées, sorties de leur contexte, voire truquées. Tout en reflétant une certaine vérité, les images sont donc souvent partiales. De ce fait, la guerre des images reste une donnée particulièrement sensible dans le traitement des conflits. Dans ce jeu complexe et perturbé par les passions, il s’agit d’occuper le terrain de la communication pour convaincre le maximum de gens.
Sur ce chapitre, l’explosion à l’hôpital Al-Ahli dans le centre-ville de Gaza le 17 octobre 2023 pendant la guerre entre Israël et le Hamas a mis en relief le piège de la guerre des images. La tragédie est survenue après le pogrom perpétré le 7 octobre par le Hamas (1 200 morts et 240 otages). Dans un premier temps, le Hamas annonce un bilan de 500 morts à Al-Ahli causé par un bombardement de l’aviation israélienne et diffuse des images insoutenables de cadavres et de destructions. La nouvelle enflamme aussitôt la rue arabe et déclenche des manifestations d’indignation dans le monde entier. Pourtant, après des enquêtes minutieuses menées par des organisations et des médias indépendants, il s’avérera que l’explosion à Al-Ahli s’était produite dans le parking de l’hôpital (et non sur le bâtiment) et qu’elle était due à un tir raté de roquette effectué par un groupe palestinien armé. Le tir serait parti du cimetière situé derrière le complexe médical et avait pour cible la ville israélienne de Haïfa. La thèse a été confirmée par des groupes et des analystes indépendants du renseignement d’origine sources ouvertes (OSINT) interrogés par le journal britannique The Telegraph (1) et le journal indien India Today (2), ainsi que l’ONG Bellingcat, un ensemble d’enquêteurs en provenance d’une vingtaine de pays et spécialisés dans la vérification des faits et des renseignements de source ouverte. Deux jours après l’explosion à Al-Ahli, la Direction du renseignement militaire (DRM) a rendu publique ses investigations en affirmant que l’hypothèse la plus probable était celle d’un tir palestinien et que la charge explosive d’environ 5 kg seulement ainsi que le faible diamètre du cratère ne pouvaient correspondre à un tir de missile israélien (3). Par ailleurs, le bilan humain sera revu à la baisse, pour être finalement établi à quelques dizaines de morts. La dérive outrancière sur le nombre des victimes sera notamment dénoncée par le journal Libération : « Si les médias ont largement relayé les nouvelles estimations à la baisse, il leur a été reproché d’avoir, dans les douze heures suivant l’explosion, cité sans précaution les premiers bilans du ministère de la Santé (du Hamas, NDLA) » (4). Les images ont servi de carburant pour alimenter un narratif de soutien, pour les uns en faveur de la cause palestinienne, pour d’autres au profit d’Israël. Les faits ont été manipulés pour produire des effets marquants dans l’opinion.
Il reste 75 % de l'article à lire
Plan de l'article