Le porte-avions avec son groupe aéronaval est un outil politique majeur, par sa visibilité et sa puissance militaire intrinsèque. Les États-Unis ont ainsi déployé deux groupes au Proche et Moyen-Orient depuis la crise enclenchée le 7 octobre 2023. Cela a permis d’envoyer des messages aux différents protagonistes pour éviter une escalade incontrôlée. Le porte-avions est l’outil de la diplomatie navale.
Imposer sans combattre : la fonction politique du porte-avions (américain) au XXIe siècle
Presence Without Fighting: the Political Function of the (American) Aircraft Carrier in the 21st Century
The aircraft carrier and its naval-air group is a major political tool by virtue of its visibility and its intrinsic military power. It is for that reason that the United States has deployed two carrier strike groups to the Middle East since the crisis that started on 7 October 2023: it sends messages to the various protagonists in order to avoid uncontrolled escalation. The aircraft carrier is a tool for naval diplomacy.
Dans la foulée des attaques du groupe palestinien Hamas contre le territoire israélien survenues le 7 octobre 2023, les forces armées américaines ont procédé au déploiement de deux groupes aéronavals au large des côtes proche-orientales. À l’heure où des discussions en France sont en cours quant au nombre de successeurs potentiels au porte-avions Charles-de-Gaulle, dont la fin de service est prévue au cours de la prochaine décennie, cette étude vise à questionner dans quelle mesure ce déploiement américain témoigne du rôle diplomatique de premier plan affecté aux porte-aéronefs, à la lumière du contexte régional, stratégique et de la multitude des acteurs impliqués. Elle proposera une conclusion quant à la nature des principales missions attribuées aux porte-avions au XXIe siècle en contexte de crise et/ou conflit.
État des forces déployées : une visibilité accrue en vue d’une affirmation politique certaine
Le déploiement de deux groupes aéronavals à proximité d’une zone de crise n’est pas une première dans l’histoire des questions navales. L’un des célèbres précédents est relatif à la crise du détroit de Taiwan des années 1990, durant laquelle les États-Unis avaient déployé deux de leurs porte-avions en vue de dissuader la République populaire de Chine (RPC) de mener des actions offensives contre l’île autonomiste dans un contexte d’élections libres organisées dans le territoire revendiqué par Pékin.
Retour sur le concept de diplomatie navale
Il est impératif de souligner que le déploiement de forces navales n’est pas exclusivement analysable d’un point de vue opérationnel. En effet, depuis les années 1970 a été mis en évidence le rôle des marines dans l’exécution ou la manifestation d’une politique étrangère. De James Cable (diplomate et penseur stratégique naval britannique - 1920-2001) et sa théorie de la « Gunboat diplomacy » (1) aux récents travaux de Kevin Rowlands (directeur du Royal Navy Strategic Studies Centre) (2), la littérature contemporaine défend la thèse selon laquelle le rôle des navires de guerre serait de nos jours davantage politique qu’intrinsèquement militaire. Cette fonction politique n’est toutefois pas nouvelle, puisque chacun soutient que « les marines ont toujours été des instruments politiques de l’État en temps de paix et l’outil de grande stratégie » (3), soulignant le caractère non exclusif de l’usage militaire des flottes. Ken Booth rappelait en ce sens en 1977 que les missions d’une navy reposaient sur trois piliers, appelées la « trinité » (4) et relatives à « l’usage de la mer » (5) : les missions militaires, les missions de police et les missions de diplomatie. Ces dernières pouvaient se subdiviser soit en missions d’affirmation de puissance (Naval Power Politics), soit en missions d’accroissement d’influence (Naval Influence Politics). Néanmoins, la dimension politique des navires de guerre semble être devenue prédominante à l’époque contemporaine. Ainsi, un déploiement de forces navales dans un espace donné ne s’avère pas nécessairement une application de la doctrine du « Sea Power » entendue au sens mahanian du terme, dans la mesure où la maîtrise des mers n’est pas nécessairement remise en cause dans les espaces de déploiement de flottes, mais s’apparenterait davantage à de la diplomatie navale, définie comme « la participation des forces aéronavales à la diplomatie et à la politique d’influence et de puissance d’un pays » (6). Cette théorie se voit renforcée par le caractère souvent non nécessaire sur le plan opérationnel du déploiement de groupes le plus souvent aéronavals dans des zones de crise.
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