Geopolitics of the Seas in the Spotlight
La géopolitique des mers à l’honneur
Devenues en quelques années le principal festival géopolitique de France, les Rencontres annuelles géopolitiques de Trouville-sur-Mer, partenaires des Presses universitaires de France, eurent pour thème en 2023 « Mers et océans ».
L’auteur de ces lignes, fondateur et animateur de l’événement, considère avec maints observateurs et analystes – mais trop peu de responsables politiques – que les espaces maritimes sont déjà et seront plus encore le théâtre majeur des rapports de force régionaux et mondiaux des prochaines décennies au moins. C’est vrai en termes de rivalités classiques par temps de conflictualité militaire ouverte, comme en mer Noire depuis l’attaque russe de l’Ukraine en février 2022 ; en termes de menaces sur le fret maritime, ainsi en mer Rouge dont les États riverains presque tous instables connaissent successivement guerres civiles (Yémen, Soudan), sécessions (Éthiopie/Érythrée), pirateries crapuleuses (Golfe d’Aden et détroit de Bab-el-Mandeb) et/ou attaques de navires par missiles (houthis actuellement) ; enfin, en matière d’exploration des fonds marins et d’exploitation des ressources halieutiques, en particulier en mer (dite) de Chine méridionale (accaparement des Spratleys et des Paracels) et en Méditerranée orientale (prospections gazières turques dans les eaux grecques).
Cet accroissement des tensions s’accompagne et s’exacerbe d’aléas liés aux effets des dérèglements climatiques. L’ouverture de la route dite du Nord-Est [sibérien], obtenue grâce à la fonte prématurée des glaces, fragilisera mécaniquement la situation rentière de… l’Égypte dont le franchissement du canal de Suez – notamment par des supertankers et des méthaniers – constitue presque 10 % des richesses nationales ! Or le pays est surendetté, surpeuplé (dans le delta du Nil) et situé en pleine zone de grande conflictualité. Et quid de la fonte vertigineuse des glaces du Groenland et de pans entiers du continent glacial Antarctique quant à la montée des eaux ? Celle-ci menace concrètement jusqu’à l’existence d’États insulaires et archipélagiques des océans Indien et Pacifique, avec ce que représente humainement mais aussi stratégiquement le futur partage des eaux les ayant engloutis…
La meilleure traduction de cette importance sans cesse plus grande prise par les mers s’incarne sans doute dans l’accroissement phénoménal des budgets étatiques consacrés à l’acquisition de flottes de guerre, faites d’insubmersibles et de sous-marins, notamment dans la vaste zone Indo-Pacifique ; certes, la Chine y est le cas paradigmatique par excellence, mais l’Inde, la Corée du Sud ou encore le Vietnam et bien sûr l’Australie cherchent à se doter à un rythme soutenu des outils protecteurs de leurs côtes et Zones économiques exclusives (ZEE), voire à peser dans des crises pourtant géographiquement lointaines.
Dans cet écosystème en pleine évolution, la France peut et doit évidemment jouer sa partition. D’abord, parce qu’elle dispose en pleine souveraineté du deuxième domaine maritime au monde quasiment ex aequo avec celui des États-Unis (très centré sur ses côtes continentales), avec plus de 11,5 millions de kilomètres carrés sur presque tous les océans. Ensuite, car deux millions de citoyens français vivent sur les terres d’outre-mer, parfois très loin de la métropole à laquelle ils demeurent objectivement attachés, qui doivent pouvoir être défendus et le cas échéant approvisionnés en toutes circonstances. Enfin, parce que la France n’a jamais renoncé à incarner une puissance globale à travers la planète, un rôle assumé vis-à-vis d’alliés stratégiques (Otan, Émirats arabes unis, etc.) comme devant des partenaires militaires (Inde, Égypte, etc.) précieux ; qu’on qualifie cette puissance « d’équilibre » ou « de responsable » importe au fond assez peu ; l’essentiel demeure sa capacité à défendre sa souveraineté, ses intérêts et ses valeurs. Pour ce faire, elle dispose d’une Marine numériquement modeste mais redoutable et relativement complète, que la récente Loi de programmation militaire impulsée par le président de la République et adoptée par le Parlement, devrait permettre de renforcer.
Pour toutes ces raisons, et parce que les communications des panélistes des Rencontres géopolitiques de Trouville-sur-Mer furent de grande qualité, je me réjouis, et avec moi sans doute tous les lecteurs passionnés de géopolitique et/ou de « Frère Océan » dont les fidèles de la RDN, que plusieurs contributions remarquables figurent dans cet excellent numéro de notre prestigieuse publication.
PS : Aux PUF, partenaires des Rencontres, a été récemment publié dans la collection « Géopolitiques » l’excellent ouvrage de Maxence Brischoux, Géopolitique des mers (PUF, 2023).