L’océan est un espace de confrontation, de compétition et de coopération. Hier, la mer faisait peur et générait des mythes majeurs comme Ulysse errant pour retrouver Pénélope. Aujourd’hui, la course au contrôle de ce bien commun exacerbe les tensions et les rivalités entre les puissances maritimes. Plus que jamais, l’océan est devenu l’espace des imaginaires.
Mers et océans, des mythes romantiques à l’instrumentalisation scientifique, industrielle et juridique
Seas and Oceans: From Romantic Myth to Scientific, Industrial and Legal Exploitation
The oceans are a space of confrontation, competition and cooperation. In the past, the sea was frightening, and gave rise to famous myths such as Odysseus’s wanderings in search of Penelope. Nowadays the race for control of this common property increases tensions and rivalry between maritime powers. Today, more than ever, the oceans are a space for the creative.
Comme tant d’autres domaines, tout commence par la Grèce antique des cités, et plus précisément avec l’une de ses épopées fondatrices, L’Odyssée du barde aveugle, Homère. Selon La Divine Comédie de Dante, Ulysse habite la huitième fosse des Cercles de l’Enfer, celle des Conseillers et des Fraudeurs (XXVI-XXVIII). Errant au Purgatoire (chant XIX), Ulysse se trouve détourné par « la douce sirène, qui charme les marins au milieu de la mer ; tant je donne de plaisir à m’entendre ! ».
Le navire du roi légendaire d’Ithaque, poussé par les vents au-delà des Portes d’Hercule (détroit de Gibraltar), dérive sans fin dans l’immensité de l’océan Atlantique, tombant de pérégrinations en pérégrinations : Ulysse, quittant l’île de la magicienne, Calypso, naufragé, frappé par la colère de Poséidon, mais sauvé par la déesse marine, Leucothée, et échouant sur la côte rocheuse du royaume de Phéacie, où il est recueilli par la fille du monarque, la princesse Nausicaa ; Ulysse emporté vers l’île des Cyclopes, où lui et ses compagnons se retrouvent prisonniers du borgne Polyphème et s’en délivrent en se dissimulant dans la laine de ses moutons géants, notre héros se déclarant appeler « outis » (personne) ; Ulysse emporté vers l’île d’Éole, le gardien des vents leur envoyant une brise légère pour les ramener vers l’île d’Ithaque, mais les marins, ouvrant malencontreusement l’outre confiée par leur bienfaiteur (et censée contenir des trésors), déchaînent ainsi tous les souffles contraires et néfastes, qui les font refluer vers l’Atlantique ; Ulysse abordant la cité des Lestrygons, géants cannibales, qui dévorent plusieurs de ses compagnons, et dont lui et quelques-uns de ses marins survivants réchappent sous un bombardement de rochers par le colosse Polyphème ; Ulysse jeté sur l’île d’Ééa, demeure de l’enchanteresse Circé, celle-ci transformant en porcs les éclaireurs d’Ulysse entrant dans son palais, ce dernier recevant du dieu Hermès un contrepoison ne parvenant pas à redonner forme humaine à ses malheureux compagnons, la maîtresse des lieux, pour obtenir l’amour d’Ulysse, brisant alors le sortilège dont elle a frappé les marins ; Ulysse débarquant à la Nekuia, pays des Cimmériens, plongé dans une nuit perpétuelle, et dialoguant avec les ombres des morts ; Ulysse, attaché au mât de son navire pour écouter le chant séducteur des sirènes, ses compagnons ayant leurs oreilles bouchées par de la cire ; Ulysse abordant l’île du Soleil, ses compagnons profitant du sommeil de leur chef pour dévorer les troupeaux d’Hélios, déchaînant ainsi la colère du maître de l’île, qui obtient justice de Zeus, ce dernier foudroyant le bateau d’Ulysse, qui est le seul à survivre n’ayant pas festoyé ; Ulysse débarquant sur l’île de Calypso, où il passe sept années prisonnier de la nymphe ; enfin, Ulysse, porté par la promesse d’Alcinoos, « esprit puissant », roi des Phéaciens, étant enfin ramené vers son royaume, l’île d’Ithaque, où, déguisé en mendiant, il accomplit sa vengeance en éliminant avec son arc tous les prétendants de sa fidèle épouse, Pénélope.
Le présent article s’interroge sur la transformation des mers et des océans. Sa première partie est centrée sur quatre romans fondamentaux du XIXe siècle, incarnant ou symbolisant le passage d’un espace maritime, lieu de mystères énigmatique et de mythologies effrayantes, à une immensité de plus en plus transparente, soumise à l’exploration et à l’emprise de l’homme. La seconde partie recense les innovations scientifiques, industrielles, juridiques, institutionnelles, qui érigent les océans de res nullius, proie d’innombrables aventuriers, pirates et trafiquants, en bien commun de l’humanité.
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