White Sun War—The Campaign for Taiwan
White Sun War—The Campaign for Taiwan
Mai 2028. Alors que Washington est confronté à une crise climatique précoce et que l’Administration en place est contrainte par la perspective des élections présidentielles qui approchent, les maîtres de Pékin décident de passer à l’offensive pour reprendre la province rebelle de Taïwan. Le moment est favorable : en 2028, la People’s Liberation Army (APL) recueille les fruits de deux décennies de réformes et de modernisation, la démographie chinoise n’est pas encore totalement défavorable, les États-Unis ont les yeux rivés ailleurs et n’ont pas encore totalement achevé leur renforcement militaire dans le Pacifique. Le successeur de Xi Jinping lance alors l’opération du siècle, qu’il espère courte. L’invasion de Taïwan est menée depuis la côte est chinoise, de manière fulgurante, dans tous les champs et dans tous les milieux. Frappes de décapitation, bombardements intensifs sur Taïwan et sur les forces américano-japonaises du Pacifique, verrouillage du détroit de Taïwan par des essaims de drones sous-marins, assauts amphibies, désinformation tous azimuts… toute la symphonie de la puissance est mise en œuvre par Pékin. La première grande guerre du XXIe siècle a commencé… et s’achève quelques mois plus tard par une déroute chinoise face à la réaction militaire du front allié mené par Washington.
Telle est l’histoire que nous raconte Mick Ryan, stratégiste australien et enseignant dans les écoles de l’US Marine Corps. Une histoire contée dans un style à la fois accrocheur et réaliste, au travers du regard de quelques personnages clés embarqués dans cette guerre, depuis le général de brigade chinois débarquant sur le sol de Taïwan jusqu’au sergent de l’US Space Command, en passant par le chef de corps d’un régiment littoral de Marines américains ou encore par le chef d’escadron féminin d’un régiment de cavalerie. En faisant le choix d’une approche créative pour parler d’un problème militaire omniprésent dans le paysage stratégique actuel, Mick Ryan nous offre bien plus qu’un simple moment récréatif : White Sun War est d’abord une analyse stratégique de haut niveau et une réflexion sur la nature de la guerre au XXIe siècle.
Plusieurs points se distinguent au fil des chapitres de cette fiction.
D’abord, Mick Ryan propose une illustration concrète du concept de « multi-milieux/ multi-champs » (M2MC), dont on parle tant en Occident. Sans verser dans le délire futuriste (ce qui n’aurait aucun sens en 2028), l’auteur décrit avec brio les manœuvres coordonnées des deux camps sur terre, sur mer, dans les airs, dans l’Espace, dans le cyberespace et dans le champ informationnel pour surclasser leurs adversaires. Les actions combinées de l’US Space Command et de l’US Cyber Command, en particulier, donnent à voir des cas d’usage crédibles et inspirants. Le point de bascule vers l’invasion commence d’ailleurs par une action spatiale. L’auteur laisse également entrevoir tous les enjeux associés à la manœuvre M2MC en termes de structures de commandement, suggérant que la symbiose M2MC n’a rien d’évident et suppose une excellente culture technologique généraliste de la part des chefs militaires. La figure du sous-marinier occupant les fonctions d’INDOPACOM est ici évocatrice.
Ensuite, ce récit de la guerre de Taïwan est une remarquable anticipation documentée de la place croissante des robots dans la conflictualité moderne. Là encore, Mick Ryan fait œuvre de réalisme éclairé, en nous présentant dans cette fiction le résultat possible des intenses réflexions menées dans les deux camps sur la manière d’intégrer les robots dans l’action militaire. Les troupes chinoises qui envahissent Taïwan à l’été 2028 sont ainsi configurées autour d’un tandem homme-machine redoutablement efficace, qui va bien au-delà du seul « appoint » des robots dans l’action humaine. Côté américain et taïwanais, l’action tactique repose en grande partie sur la performance des robots, qu’il s’agisse de frapper, de se défendre ou de décider. La guerre décrite par Mick Ryan reste une activité fondamentalement humaine (elle est d’ailleurs vécue, au fil des pages, par des humains traversés par leurs passions), mais on y voit partout des soldats qui mettent leur confiance dans les performances de leurs machines, sans pour autant abandonner leur esprit critique et leur combativité. Ici, l’auteur montre également le rôle déstabilisateur de la surprise technologique dans la conduite de la guerre : chaque acteur du conflit cherche ainsi à la provoquer, tout en tentant de s’adapter le plus rapidement possible aux percées technologiques de l’adversaire.
En dernier lieu, cet essai met en lumière l’enjeu de l’adaptation avant la guerre. Mick Ryan fait ici parler sa fibre d’enseignant que l’on sent au travers de son récit, en montrant comment l’étude des campagnes du passé et l’intériorisation des enseignements de la conflictualité sont de puissants leviers pour faire les bons choix (technologiques, doctrinaux, organisationnels, humains) à temps. Les personnages mis en scène nous disent tous quelque chose de cet enjeu, à différents niveaux de la guerre, faisant résonner aux oreilles du lecteur cette sentence de Robert de Saint-Jean : « La paix est le temps où l’on dit des bêtises, la guerre le temps où on les paie ».
White Sun War est donc une nouvelle confirmation qu’il est possible de joindre l’utile à l’agréable. Avec cette fiction « à hauteur de personnages », Mick Ryan nous fait non seulement parcourir la géographie de Taïwan et ainsi mieux appréhender le défi que constitue l’invasion d’une telle île, mais nous fait surtout prendre conscience que la guerre « sans contact » n’existe pas : même à l’ère des machines et du M2MC, la guerre est une affaire d’humains et de vies perdues sur le champ de bataille.