L’intelligence artificielle est un outil majeur dans la guerre de l’information pratiquée notamment par la Chine et la Russie à des fins idéologiques. Les progrès constants de l’IA permettent de générer de nouveaux modes d’action fragilisant nos sociétés très ouvertes sur la liberté d’information, au risque de laisser libre cours à l’adversaire avide de nous déstabiliser.
Le rôle de l’intelligence artificielle dans la guerre de l’information
The Role of Artificial Intelligence in Information Warfare
Artificial intelligence is a major weapon in the information war being waged to ideological ends, in particular by China and Russia. Constant progress in AI is opening up new ways of undermining our societies, which are very open to freedom of information and which risk offering an adversary free rein to destabilise us.
En 1952, le colonel soviétique Anatoly Kitov, ingénieur de formation, est chargé par sa hiérarchie d’étudier les applications militaires possibles des ordinateurs. Dans une bibliothèque secrète, il découvre l’unique exemplaire de Cybernétique, publié en 1948 par le mathématicien américain Norbert Wiener et retiré de la circulation régulière dans les librairies et bibliothèques soviétiques. À rebours des autorités du Kremlin, qui voient alors dans la cybernétique une « pseudoscience bourgeoise », le colonel Kitov comprend que cette nouvelle science des mécanismes de contrôle et de rétroaction ouvre des perspectives gigantesques en matière d’apprentissage machine et d’automatisation. En 1955, il signe avec deux mathématiciens russes réputés au sein du complexe militaro-académique, Sergei Sobolev et Aleksei Lyapunov, un article qui ouvre le lent processus de réhabilitation de la cybernétique, que les auteurs conçoivent à la fois comme « une théorie des machines à calculer électroniques automatiques à grande vitesse » et comme une « théorie des processus logiques auto-organisateurs » (1).
En juin 1960, à la faveur de la déstalinisation, Norbert Wiener, dont les œuvres majeures sont désormais traduites en russe, est chaleureusement accueilli en URSS pour une visite de plusieurs semaines à Moscou, Saint-Pétersbourg et Kiev. La cybernétique de Norbert Wiener a dès lors inspiré les scientifiques, les fonctionnaires et les militaires soviétiques, à commencer par ceux qui ont tenté à partir de 1962 de construire un réseau informatique national, l’OGAS (Système national automatisé de calcul et de traitement de l’information), ou ceux qui au début des années 1980 ont tenté tout aussi vainement de développer un programme d’analyse automatisée des conversations téléphoniques pour le compte de la 12e section du KGB.
C’est dans le champ informationnel que la pensée du mathématicien américain a été à la fois la plus influente et la plus féconde. Les stratèges russes de la guerre de l’information ont en effet accordé une grande importance à ce que Wiener a appelé l’« utilisation combative de l’information », dans laquelle il est, écrit-il, « tout aussi important de laisser ouverts ses propres canaux d’information que d’obstruer ceux dont dispose l’adversaire » (2). L’enjeu, en termes cybernétiques est d’encourager l’entropie – la désorganisation – à l’intérieur de l’espace infor-mationnel de l’adversaire, et a contrario la néguentropie – un degré croissant d’organisation – à l’intérieur de son propre espace informationnel. Pour assurer la stabilité de l’espace informationnel numérique russe, le FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) a mis en place dès 1995 le « Système de mesure de recherche opérationnelle » (SORM), un dispositif d’interception des télé-communications numériques, que les opérateurs Internet russes ont été contraints d’installer à leurs frais sur leurs réseaux. En 1999, le directeur du FSB, un certain Vladimir Poutine, décide d’étendre le système SORM à l’ensemble de l’Internet russophone.
Il reste 82 % de l'article à lire
Plan de l'article