Le Traité du Quirinal signé en 2021 entre la France et l’Italie est une étape importante pour les deux Nations, si proches historiquement et culturellement, mais si distantes chaque fois que Paris oublie son destin méditerranéen. Avec cet engagement mutuel, c’est une nouvelle étape pour la construction de l’Europe, celle-ci ayant tout à gagner d’une bonne entente franco-italienne.
Le Traité du Quirinal, une contribution attendue et indispensable à la défense de l’Europe !
The Quirinal Treaty, a Long-Awaited and Essential Contribution to the Defence of Europe
The Quirinal Treaty between France and Italy was signed in 2021. It was a major step for two nations which are so close historically and culturally, yet so distant whenever Paris forgets its Mediterranean element. This mutual commitment represents a new stage in the construction of Europe, which has everything to gain from good Franco-Italian relationships.
Note préliminaire : Le 2 février 2024, le CEPS et l’IREFI ont organisé un forum consacré au thème : « Comment relever le défi d’une coopération renforcée en matière de Défense entre la France et l’Italie au regard du traité du Quirinal ? »
L’Europe de la défense a trop souvent été perçue sous le prisme de la dynamique franco-allemande, reléguant au rang de partenaire de deuxième cercle les autres membres de l’Union européenne. Si cette idée a pu, pendant de nombreuses années, incarner une volonté politique, constatons qu’avec le temps, elle s’est fortement érodée et qu’il n’est plus d’actualité de parler de couple en évoquant la relation « privilégiée » franco-allemande !
Par ailleurs, l’Europe de la défense un instant souhaitée, a graduellement dû acquérir une dimension dans la longue durée : d’un côté, en dépit d’une Commission européenne qui souhaitait être « géopolitique », la construction d’une politique commune de défense et sécurité prend son temps politique et technique ; de l’autre, il y a clairement un groupe de pays qui croient plutôt dans une relation bilatérale de défense avec les États-Unis que dans une coopération européenne structurante jugée trop contraignante et aux résultats aléatoires.
L’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022, a cruellement rappelé aux États européens qu’un conflit majeur pouvait toucher leur continent voire, à terme, inciter certains d’entre eux à s’engager plus significativement aux côtés des Ukrainiens ! Pour une période encore assez longue, l’Otan, avec toutes ses limites, est la seule organisation capable de répondre aux impératifs de sécurité des États européens et de permettre aux capacités militaires européennes de se développer dans un environnement favorable.
Par ailleurs, les propos de Donald Trump rappellent les Européens à leur responsabilité collective. S’il convient de les nuancer, ils doivent cependant inciter les peuples européens à prendre en compte que le principe d’automaticité perçu par un grand nombre comme évident pourrait ne plus aller de soi. « Aide-toi, le ciel t’aidera » est une sentence d’une totale actualité ; aux Européens de se mobiliser et non seulement dans la création de capacités concrètes, mais aussi dans une harmonisation des armements nécessaire pour résoudre les évidentes limites de l’actuelle interopérabilité ; voire à terme évoluer vers l’interchangeabilité. La gouvernance de l’Otan pourrait même, en fonction d’évolutions politico-diplomatiques, changer.
En ce sens, l’approfondissement du dialogue franco-italien en matière de défense à la lumière du Traité du Quirinal (1), est une option extrêmement crédible et pertinente qui ne peut que contribuer au renforcement de l’unité européenne. La dynamique de ce Traité a permis en effet la création de Naviris en 2019 (la joint-venture de Fincantieri et Naval Group) et de tourner la page au rapprochement avorté en 2021 et mal compris entre Fincantieri et les Chantiers de l’Atlantique.
Cette coopération renforcée ne peut qu’être bénéfique, aussi bien à l’Italie, qu’à la France, mais aussi plus largement à l’Europe. Par exemple, l’opération Aspides qui a été mise en place en mer Rouge a été en grande partie due au dialogue franco-italien. Cet élan pourrait d’ailleurs inciter d’autres États à s’associer à cette démarche. L’Italie et la France peuvent, dans ce contexte, incarner cette volonté européenne de coopérer plus fortement notamment en contribuant à la sauvegarde de la sécurité commune et au renforcement des capacités de l’Europe de la défense ainsi qu’à la consolidation du pilier européen de l’Otan. L’objectif est d’arriver à faire de la relation franco-italienne un des piliers de l’architecture européenne pour la sécurité en Méditerranée, et plus largement de la défense en Europe, notamment par des prises de position communes au sein de l’Otan et de l’Union européenne par une coordination des actions menées en Europe, dans l’Indo-Pacifique, au Sahel, en Méditerranée (pour ne citer que les plus récentes : l’exercice annuel quadripartite Eunomia avec la Grèce et Chypre, l’opération Eunavfor Med Irini qui tente de faire respecter l’embargo sur les armes imposé à la Libye par l’ONU).
Faut-il, en outre, rappeler l’extrême importance que revêt pour l’Italie et la France la construction d’une stratégie commune en Méditerranée afin de faire face aux nombreux défis sécuritaires et migratoires qui concernent la zone ? Il convient pour cela, qu’en lucidité et en respect mutuel, soit élaborée une vraie vision stratégique commune à l’Italie et à la France. En effet, ce n’est pas parce que l’on est proche, que l’on se connaît bien et que l’on se comprend, bien au contraire, mais aussi de croire que nous n’avons pas besoin de nous connaître davantage pour nous comprendre ! Il est capital d’éviter la tentation de la « proximité/facilité ». Pour mémoire, nous soulignerons, entre autres, les grandes différences d’appréciations notamment en ce qui concerne la gestion et le traitement du flux des migrants ainsi que les raisons et les conséquences des opérations menées par la France (avec le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Otan) en Libye en 2011.
Il s’agit sur cette base :
– De parler, d’échanger pour mieux se comprendre et se faire confiance mutuellement, l’objectif étant de coopérer dans une relation d’égal à égal et de construire ensemble un cadre de coopération militaire qui existe, mais qu’il faut mettre en œuvre.
– D’agir en commun en Méditerranée qui est, pour l’Europe, le transit de 20 % du trafic commerçant, de 65 % des flux énergétiques et le point de passage de 80 % des câbles sous-marins…
– D’approfondir les coopérations en matière d’armement notamment dans les domaines spatial, naval, aéronautique (avions de transport tactique, d’entraînement, etc.), des technologies d’avenir, de l’Intelligence artificielle (IA), du cyber, coopérations qui doivent se poursuivre sur l’ensemble du cycle de la partie amont à l’industrialisation jusqu’au Maintien en condition opérationnelle (MCO) et aux refontes.
– De s’associer dans des projets opérationnels ou capacitaires structurants, en travaillant à renforcer l’interopérabilité entre les deux systèmes de défense et de promouvoir, faciliter les investissements croisés dans un esprit de « souveraineté partagée ».
C’est la pratique et la volonté qui pourront faire vivre ce Traité et lui donner sa pleine dimension. Les relations entre l’Italie et la France sont anciennes et profondes. De la civilisation romaine (la Gaule fut romaine pendant quelques siècles), à celle de la Renaissance, à la première entité politique italienne sous l’impulsion de Napoléon Bonaparte. Les apports furent mutuels et bien souvent fructueux pour les deux parties et l’Europe. L’Italie et la France ont contribué à la création de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), de l’Otan, de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar) et de l’Agence de défense européenne (EDA). En dépit de périodes de profondes divergences, Rome et Paris ont une forte histoire commune. C’est sur cette base millénaire que cette coopération n’est pas une utopie intellectuelle mais un atout au service de l’unité à l’intérieur de l’Europe et entre l’Otan. ♦
(1) « Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée », 26 novembre 2021 (https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/italie/relations-bilaterales/le-traite-du-quirinal/). Pour rappel, le Palais du Quirinal est depuis 1er janvier 1948, la résidence officielle du Président italien.