La lutte contre la désinformation peut s’appuyer sur des instruments juridiques nationaux et européens. La difficulté est de trouver un équilibre entre liberté d’expression – un droit fondamental pour le citoyen – et la protection des intérêts nationaux. Il faut pouvoir prévenir, surveiller, réprimer tout en responsabilisant tous les acteurs. De fait, la lutte informationnelle est l’affaire de tous pour préserver les libertés.
Les instruments juridiques de lutte informationnelle
The Legal Instruments of Information Warfare
The fight against disinformation can call upon national and European legal instruments. The difficulty lies in finding a balance between freedom of expression (a fundamental right of the citizen) and protection of national interests. We have to be able to prevent, monitor and sanction, and at the same time make all involved responsible for their actions. In order to preserve freedoms, the information battle is everyone’s concern.
Lorsque l’on s’intéresse à l’encadrement juridique du champ informationnel, il convient d’emblée de rappeler que la liberté d’expression et ses composantes que sont les libertés de communication et d’information, sont consacrées par le droit international et européen relatif aux droits de l’homme (1) et les droits constitutionnels des régimes démocratiques (2). Dans les faits, le champ informationnel revêt cependant une dimension de plus en plus conflictuelle avec les développements de l’espace numérique. Non seulement les réseaux sociaux, la multiplication des moyens de communication et les algorithmes exacerbent les abus individuels de la liberté d’expression mais ils permettent aussi, et surtout, des manipulations de l’information plus organisées et à grande échelle (3). Les utilisations malveillantes de la couche sémantique du cyberespace concernent autant les atteintes à la réputation des personnes et des entreprises que les atteintes à l’État et à son organisation démocratique, par des campagnes de désinformation menées, par exemple, par des groupes terroristes ou des puissances étrangères. Ces menaces conduisent aujourd’hui davantage les pouvoirs publics à renforcer l’encadrement de la liberté d’expression, notamment dans le cadre d’une posture française de lutte informationnelle considérée comme un enjeu de sécurité nationale et de souveraineté (4).
Non absolue (5), la liberté d’expression a toujours pu faire l’objet de limitations pour en contrôler les abus. Depuis longtemps, des réponses juridiques existent pour lutter contre les discours jugés violents et considérés comme illicites, notamment lorsqu’ils portent sur des mineurs, ou encore contre les diffusions de fausses informations. À ce titre, on peut mentionner l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui sanctionne encore pénalement la diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public. Pour autant, le phénomène grandissant des manipulations de l’information a entraîné ces dernières années une inflation normative en France et en Europe dans le champ du droit du numérique relatif à l’espace informationnel. En effet, la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information de 2018 et le règlement européen sur les services numériques de 2022 (DSA) ont largement renforcé la régulation des contenus en ligne. Sur l’ensemble des textes juridiques pour lutter contre les manipulations de l’information et les discours illicites, un certain nombre d’entre eux sont des instruments juridiques particulièrement invocables dans la lutte contre la désinformation susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, à la sécurité publique et à l’organisation de la vie démocratique.
Les différents instruments juridiques de lutte informationnelle consacrés en droit français et en droit européen semblent pouvoir s’organiser stratégiquement. En ce sens, il est possible de distinguer ces instruments juridiques selon qu’ils occupent une fonction à caractère stratégique : de prévention et de surveillance, de répression et d’entrave, de responsabilisation. Ces trois fonctions constituent ainsi le plan de notre analyse.
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