Le concept de « défense psychologique » a été mis en lumière au cours de la Seconde Guerre mondiale puis durant la guerre froide. À l’issue de celle-ci, les structures propres à cette doctrine ont été mises généralement en sommeil. Cependant, la guerre de l’information est redevenue une réalité, obligeant les États occidentaux à revoir leur dispositif pour être plus réactifs face aux menaces. Au vu des manipulations informationnelles, il est urgent de se réarmer.
La « défense psychologique » face aux manipulations de l’information
Psychological Defence Against Information Manipulation
The concept of psychological defence was developed during the Second World War, and continued to be employed throughout the Cold War. Since that ended, the structures created for the doctrine have been largely put on the back burner and yet the information war is again with us and is compelling Western countries to review their systems in order to be more reactive against threats. In the face of the current information manipulation, there is an urgent need to rearm.
Le 10 mai 2022 a été inaugurée à Karlstad l’Agence suédoise de défense psychologique (Myndigheten för psykologiskt försvar). Relevant du ministère de la Défense, elle est chargée de protéger « la société ouverte et démocratique, et la libre formation d’opinions en identifiant, analysant et répondant aux influences inappropriées et autres informations trompeuses dirigées contre la Suède ou les intérêts suédois » (1). L’agence met en œuvre une approche préventive en temps de paix qui met l’accent sur l’esprit critique et l’éducation, dans le but de renforcer l’immunité des Suédois face aux menaces informationnelles par une approche globale et horizontale impliquant l’ensemble de la société civile. Ses tâches comprennent la sensibilisation à la menace informationnelle, le développement de méthodes et de technologies permettant d’identifier et de contrer les ingérences informationnelles, la formation des journalistes et des institutions, ainsi que le financement de recherches liées à la défense psychologique. La conception suédoise de la défense psychologique repose ainsi sur quatre principes, la résilience, l’analyse de la menace, la dissuasion et la communication stratégique.
La création de cette agence, dans le contexte de la détérioration de la situation en matière de sécurité globale, correspond à la réactivation d’un concept datant de la guerre froide dont la Suède a été l’une des références, la « défense totale », qui repose sur quatre piliers : la défense militaire, la défense civile, la défense psychologique et la défense économique (2). De 1954 à 2008, en effet le Comité d’urgence puis Conseil de défense psychologique (« Beredskapsnämnden » puis « Styrelsen » för psykologiskt försvar) (3) a eu pour missions principales de préparer une agence gouvernementale susceptible de diffuser des informations en cas de guerre et de coordonner des recherches sur la propagande et la défense psychologique, définie par un rapport de 1953 comme « une tentative de maintenir et de renforcer la résilience de la population » (4).
Dans les années 1950, des organisations similaires ont été créées dans la plupart des pays d’Europe occidentale, à commencer par la France. Si la fin de la guerre froide a conduit à l’abandon de la « défense psychologique » dans beaucoup de ces pays, la dernière décennie en a vu plusieurs remettre la « défense totale » au premier plan, dans le contexte du retour de la conflictualité, de l’essor des menaces numériques et de la recrudescence des opérations de guerre psychologique en temps de paix. C’est en 2017 que la Suède a remis la défense totale au goût du jour en mettant l’accent sur la collaboration civilo-militaire via un rapport de la Commission de défense. Intitulé Résilience, il identifie ainsi les menaces hybrides parmi les défis de la défense totale et met en évidence des domaines clés pour renforcer la résilience, tels que la défense psychologique, la cybersécurité, les transports, la préparation des systèmes financiers et de santé, ainsi que la sécurité de l’approvisionnement en électricité, en carburant, en chauffage, en nourriture et en eau (5). L’objet du présent article est, par conséquent, d’interroger la pertinence de ce concept de défense psychologique dans le contexte de l’essor et de la sophistication des manipulations de l’information et des ingérences étrangères, à l’aune des progrès accomplis dans le champ des sciences sociales et tout particulièrement de la psychologie.
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