Vers la guerre ? La France face au réarmement du monde (Towards war? France in the face of global rearmament)
Vers la guerre ? La France face au réarmement du monde
Rares sont les ministres de la Défense ou des Armées qui, durant la Ve République, se sont livrés à l’exercice de l’écriture du livre sur la défense, au regard de leur expérience ministérielle. Peut-être le syndrome de la « Grande muette » ou la volonté de passer à autre chose. Il y a bien sûr des exceptions notables, à commencer par Pierre Messmer (1916-2007), Compagnon de la Libération et au parcours politique remarquable puisqu’il fut ministre des Armées durant plus de 9 ans (1960-1969) et Premier ministre (1971-1972). Nul doute ici qu’il a été et reste un modèle pour l’auteur.
En ces temps où le brouillard de la guerre est total avec des menaces directes et indirectes contre l’Europe et donc la France, avec une guerre imposée par la Russie à l’Ukraine et où le Proche-Orient bouillonne de sa violence, tandis que la Chine démontre ses ambitions impériales et qu’arrive une nouvelle Administration Trump qui sera au minimum disruptive, il est nécessaire et indispensable de regarder au-delà de notre « nombril hexagonal » et de comprendre que le temps des tempêtes et du rapport de force est désormais la réalité de notre monde. C’est tout le mérite de l’ouvrage de proposer les clefs de compréhension de notre défense.
Sur un ton très pédagogique et clair, fruit d’une totale maîtrise des dossiers, Sébastien Lecornu présente la réalité militaire de notre monde et non pas celle que l’on aimerait bien avoir et qui, au travers des « dividendes de la paix », nous a profondément fragilisé face à la montée des compétiteurs stratégiques. Hélas, durant près de trois décennies, la Défense a été la variable d’ajustement des budgets avec le fait que les politiques ont rarement une vision du temps long, c’est-à-dire du temps stratégique, indispensable pour conduire une politique de défense cohérente et opérationnelle.
Là encore, la référence à Pierre Messmer s’impose car durant son long parcours à l’Hôtel de Brienne, sous l’autorité du général de Gaulle, il a pu accompagner et assurer la reconstruction de nos armées, après le traumatisme des guerres de décolonisation, avec la montée en puissance de la dissuasion nucléaire. Certes, les bases avaient été lancées dès l’automne 1945 avec la création du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) par le Général, mais la IVe République – en raison de son instabilité politique – ne put que mettre en place des briques technologiques. C’est bien le fondement et la raison d’être de la Ve République qui se conçoit d’abord avec la mise en place de l’arme atomique comme instrument absolu de notre souveraineté et dont la décision de mise en œuvre relève du Chef de l’État. Cette dimension – opérationnelle depuis 1964 – reste bien au cœur de notre défense et est plus que jamais essentielle, ne serait-ce que dans la confrontation imposée par Vladimir Poutine depuis le 24 février 2022.
Là encore, la défense est d’abord une affaire politique, ce que souligne l’auteur. Ici, la fibre gaulliste apparaît clairement. C’est bien parce que le politique ne s’est pas préoccupé de la défense dans les années 1930 que la défaite de 1940 a été inéluctable. Ce que de Gaulle, sous-secrétaire d’État à la Guerre, avait compris durant ce funeste printemps. Certes, les militaires sont indispensables mais doivent comprendre que le principe Cedant arma togae de Cicéron reste central encore aujourd’hui. À condition que les politiques assument cette mission. On peut ici s’interroger sur l’inculture de ceux-ci sur les questions de défense, d’autant plus que le vernis que pouvait concéder le service national n’existe plus. Là encore, le ministre-auteur – réserviste opérationnel de la Gendarmerie – évoque l’importance de la place des Armées au sein de la nation, s’appuyant d’ailleurs sur sa propre expérience lorsqu’il était maire de Vernon dans l’Eure, ville autrefois abritant une garnison et l’emblématique LRBA (Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques), berceau de la fusée Ariane, et comme ministre des Armées, sillonnant toutes les garnisons, bases et ports militaires de la France métropolitaine et outre-mer. Comment faire vivre cet esprit de défense alors même que beaucoup trop de nos concitoyens pensent que la guerre ne nous concerne pas ? Là encore, on ne peut que recommander la lecture de ce livre car, au-delà de la personnalité de l’auteur-ministre, celui-ci propose cette compréhension indispensable de notre politique de défense conduite depuis le général de Gaulle et des enjeux de demain. Ce n’est pas un ouvrage pour spécialistes ou à l’attention des militaires ou encore des élus. C’est un livre que tout citoyen responsable se doit de lire, alors même que l’effort de redressement de nos forces est une réalité depuis 2017. Et ce, afin d’éviter qu’une nouvelle « étrange défaite » ne vienne nous surprendre. ♦