Le Labyrinthe des Égarés – L’Occident et ses adversaires (The labyrinth of the lost—The West and its adversaries)
Le Labyrinthe des Égarés – L’Occident et ses adversaires
Après son Naufrage des Civilisations (2019), Amin Maalouf poursuit sa réflexion sur le cours de l’histoire, en se penchant cette fois sur le labyrinthe dans lequel seraient égarées les nations du monde en ce début de XXIe siècle. Avec, malgré le ton du titre, une note d’espoir : « Il n’est pas trop tard. Nous avons parfaitement les moyens de sortir de ce “labyrinthe”. Encore faut-il commencer par admettre que nous nous sommes égarés ».
Égarés ? Comment et, surtout, pourquoi ? Pour le comprendre, l’Académicien retrace brillamment le parcours contemporain de trois grandes nations qui ont tenté, et parfois tentent encore, de tenir tête à l’Occident : le Japon, la Russie et la Chine. Son récit – car il s’agit bien d’un récit historique – nous montre comment chacun de ces peuples a incarné, à un ou plusieurs moments, un espoir d’alternative à la suprématie occidentale installée depuis le XVe siècle, et de quelle manière cet espoir s’est à chaque fois transformé en amère désillusion. Désillusion par excès nationaliste dans le cas d’un Japon qui fut pourtant à l’avant-garde du renouveau des nations « non blanches » après sa victoire sur la Russie en 1905. Désillusion par dérive autoritaire sanglante et par inefficacité économique généralisée pour l’Union soviétique, malgré l’espoir suscité au début du XXe siècle dans une bonne partie du monde. Désillusion par aveuglement idéologique pour la Chine de Mao, en dépit d’une ferveur initiale après la victoire contre le Japon en 1945. En miroir de ces « compétiteurs » de l’Occident, l’essai retrace l’épopée américaine, qui a vu quelques colonies rebelles se muer en première puissance mondiale au cours du XXe siècle, faisant dès lors peser sur les épaules de Washington de lourdes responsabilités mondiales, parfois voulues, parfois subies. Amin Maalouf commente les réussites indéniables de la jeune nation (en particulier en 1945 en redressant un monde vacillant après la Seconde Guerre mondiale), mais surtout ses erreurs, notamment lors des basculements dès 1919 (Traité de Versailles) et de 1989 (chute du mur de Berlin), durant lesquels les États-Unis ont créé des désillusions à la hauteur des attentes suscitées à leur égard.
De son voyage dans l’époque contemporaine, Amin Maalouf tire deux grandes conclusions. Premièrement, que les challengers de l’Occident ne peuvent construire une stratégie viable sur le seul fondement de la détestation de « l’Ouest » ou de « l’homme blanc », mais, bien plus, en se renouvelant de l’intérieur, avec humilité et sans céder à l’hubris. Deuxièmement, qu’aucune nation ne peut porter seule le fardeau de la conduite du monde : « Aucune puissance, aucune nation, aucune aire de civilisation, n’est en mesure d’assumer à elle seule le leadership global, politique, éthique et intellectuel, dont l’humanité, à ce stade de son évolution, a désespérément besoin ».
Contemplant le face-à-face engagé entre Washington – assis sur le toit du monde mais plus divisé que jamais à l’intérieur – et Beijing – héritier des deux grandes dynamiques du XXe siècle que sont le réveil de l’Asie et l’émergence du communisme –, Amin Maalouf lance un appel à l’établissement d’un nouveau système international fondé sur la solidarité planétaire, vue comme moyen et comme garde-fou. L’analyse solide et le ton réaliste du franco-libanais empêchent de classer son propos dans la catégorie des rêveries naïves. La naïveté serait d’ailleurs, selon lui, du côté de ceux dont la vigilance s’est émoussée depuis la fin de la guerre froide, qui a donné un faux sentiment de sécurité à l’Occident. Les Académiciens sont, d’une certaine manière, tels les arbres de la forêt dont nous tirons notre oxygène : alors profitons de cet essai d’Amin Maalouf pour vivifier notre réflexion. ♦