Allocution d'ouverture du Séminaire interarmées des grandes écoles
Nous sommes devant de grands changements géopolitiques, stratégiques ou technologiques. Le recrutement et la formation des officiers leur donnent tous les moyens de réussir les missions difficiles que la Nation leur confie dans ce nouveau contexte. Il faut continuer à évoluer. C’est la raison d’être du séminaire interarmées des grandes écoles militaires (Sigem) dont vous serez les premiers à bénéficier.
Europe de la défense
Cette première session nous l’avons placée sous le signe de l’Europe de la défense. C’est un projet pour nous et nos quatorze partenaires, une priorité des années à venir dans laquelle s’inscrira votre carrière professionnelle. Il est fondé sur une aspiration commune profonde, il prend son dynamisme dans plus de quarante ans de construction européenne, qui ont changé le visage du continent.
L’Europe de la défense vise à doter les Quinze d’une capacité propre de gestion des crises, c’est-à-dire de maintien et de rétablissement de la paix, d’opérations humanitaires ou d’évacuation de ressortissants. J’évoque là en quelques mots l’ensemble des missions de Petersberg, qui figurent depuis 1992 dans nos accords et aujourd’hui dans le Traité d’union européenne.
Je veux être clair, ce projet d’Europe de la défense n’est pas une alternative à l’Alliance atlantique. Aucun pays européen n’aurait accepté de s’engager dans la construction de l’Europe de la Défense si elle devait conduire à un relâchement du lien transatlantique.
Nous sommes aujourd’hui dans une phase de mise en œuvre réelle des décisions prises par le Conseil européen à Nice, il y a trois mois. Le dispositif est décidé, il nous appartient de le rendre opérationnel le plus vite possible.
Nous poursuivons, sous présidence suédoise, la démarche d’une construction réaliste et pragmatique qui a été la nôtre depuis Saint-Malo. Notre préoccupation est de faire valoir une capacité de décision de l’Union européenne, sans laquelle notre entreprise n’aurait aucun sens ; mais nous progressons aussi « sans duplication inutile » – vous apprendrez toutes les implications de cette expression – avec les moyens de l’Alliance atlantique. C’est pour cela que nous tenons à disposer dans les prochains mois du droit d’utiliser les capacités de l’Otan dans les cas où l’Union européenne déciderait d’agir en utilisant les capacités de l’Alliance atlantique.
Le Sigem s’inscrit dans le cadre d’un profond changement dans nos armées. Les officiers comprennent les raisons de la réforme que j’ai engagée dans les domaines du recrutement, de la formation et du déroulement de leur carrière.
Cette réforme vient compléter le processus de professionnalisation et de réorganisation des armées. Elle est la clef de voûte, elle vise à consolider les nouvelles forces issues de cette transformation, en leur donnant un encadrement apte à comprendre les enjeux des missions qui lui sont confiées.
Les mutations géopolitiques entraînent une évolution des conditions d’engagement des forces
Vous entrez dans l’institution militaire alors même qu’elle connaît une véritable révolution, en écho aux évolutions de notre société et de son environnement international.
Les modes d’engagement de nos forces armées ont été profondément transformés. Désormais nos frontières ne sont plus directement menacées et nous n’avons plus d’ennemi désigné. Pourtant, des déséquilibres provoquent toujours des tensions et des conflits qui, malgré tous nos efforts de prévention, continuent de nous surprendre par leur brutalité et leur rapidité d’évolution.
Cet environnement d’incertitude a conduit la France, nation disposant de l’arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité, mais aussi patrie des droits de l’homme et du citoyen, à devenir plus encore que par le passé un partisan résolu, au service de l’organisation des Nations unies, dans des interventions en faveur de la paix dans le monde. Les engagements de nos forces armées en Bosnie, au Kosovo, mais aussi dans d’autres crises hors Europe, illustrent bien la volonté de notre pays de redonner aux populations agressées, en y consacrant le temps et les moyens nécessaires, des raisons d’espérer et des conditions de vie supportables.
L’évolution des conditions d’engagement de nos forces a rendu nécessaire une modification de leur nature. Préparées, durant la période de guerre froide à un engagement massif, de haute intensité, qui est resté virtuel, elles ont su se transformer au cours de la dernière décennie en une force de projection réellement engagée dans des crises nécessitant le plus souvent la mise en œuvre d’actions de longue durée, très variées et mesurées dans l’emploi de la force.
La réforme des armées
La professionnalisation
Le format de nos armées a lui aussi changé. Notre territoire n’est plus directement menacé et les risques d’un conflit majeur en Europe sont écartés.
Il n’est de ce fait plus nécessaire de disposer d’un effectif aussi important qu’au temps de la guerre froide. Par ailleurs, les interventions extérieures sont désormais placées sous le signe de l’urgence et exigent de l’expérience, des aptitudes multiples et des qualités spécifiques qui requièrent une longue formation. Ces nouvelles exigences opérationnelles, intervention d’urgence et formation approfondie, ne pouvaient être atteintes avec une armée de conscription. Elles ont logiquement conduit au choix de la professionnalisation.
L’adaptation très profonde du format de nos forces armées sera bientôt achevée, sans heurts, et la manière remarquable dont vos aînés ont su accomplir cette tâche particulièrement complexe est saluée par nos concitoyens.
La construction d’une armée professionnelle exigeait en effet de relever le défi d’une diminution très importante de ses effectifs : restructuration et dissolution d’unités, disparition progressive des appelés, déflation des cadres qui devait s’opérer dans les meilleures conditions pour les officiers et sous-officiers quittant les armées, retrait des armées de sites devenus inutiles à la Défense nationale, et dont il nous revenait de conduire la reconversion.
Une évolution culturelle
Le processus de professionnalisation ne se résume pas seulement à une modification structurelle des forces armées. Les conditions de son succès à moyen et long terme passent aussi par une véritable évolution culturelle allant de pair avec celle de nos sociétés démocratiques, soumises aux nouveaux courants de la mondialisation.
Ce sont surtout les officiers qui devront montrer l’exemple d’un style de commandement et de méthodes de travail adaptées à notre temps et aux aspirations du personnel qu’ils encadreront. Ils devront évoluer, tout au long de leur carrière, dans un environnement de plus en plus interarmées et international. Il leur incombera d’établir une nouvelle relation avec la société civile, qui auparavant était assurée par la conscription.
Ces exigences, à la fois pérennes et nouvelles du métier d’officier, méritaient qu’un examen attentif du recrutement du système de formation et du déroulement des carrières soit entrepris à la lumière des changements en cours dans la défense et dans son environnement.
L’ouverture du recrutement
Le premier élément qui justifie la confiance de la Nation dans ses armées, c’est la qualité des hommes et des femmes qui choisissent de se consacrer au métier d’officier au sein de nos forces. Vous avez démontré, pour entrer dans vos écoles comme au cours de votre formation, des qualités intellectuelles, morales, relationnelles, dont vous savez qu’elles auraient pu vous ouvrir d’autres portes dans le monde professionnel civil. Le fait qu’une partie des jeunes gens les plus doués de leur génération aient choisi cette mission est un gage de succès pour l’avenir de nos armées. Elle est aussi la preuve de la force du lien qui les unit à la Nation.
Il faut veiller à ce que cette qualité et cette diversité du recrutement des officiers soient encore la règle à l’avenir. Au moment où la conscription ne sera plus qu’un souvenir historique, les officiers devront continuer d’être l’émanation de la société, dans toute sa diversité. Il leur faudra également élargir leurs compétences pour disposer de celles requises par les missions qui leur sont confiées. Ces deux raisons fondamentales justifient aujourd’hui un élargissement et une diversification du recrutement des officiers.
La formation
La formation initiale des élèves officiers sera complétée et adaptée pour tenir compte des exigences nouvelles du métier d’officier, au sein de forces armées modernes. Vous êtes appelés à participer à la réforme de nos armées, et c’est pourquoi j’ai souhaité organiser un séminaire interarmées des grandes écoles militaires qui s’inscrive dans votre cycle de formation initiale. Ce séminaire a pour objectif de vous présenter l’environnement dans lequel le ministère de la Défense évolue et de vous en faire percevoir toute la complexité. Il vous permettra de comprendre le fonctionnement de notre outil de défense dans sa globalité. C’est là une condition indispensable à votre adaptation aux nouvelles contraintes du métier d’officier, dans un monde en évolution permanente.
Le Sigem est la concrétisation de cette réforme
Le séminaire interarmées des grandes écoles militaires a une double vocation. Il contribue à approfondir votre formation, mais il vise également à vous faire prendre conscience de la dimension interarmées de nos forces.
Les objectifs de formation
Le Sigem constitue d’abord un instrument destiné à renforcer votre connaissance d’un certain nombre de grands enjeux politiques, stratégiques, financiers, juridiques ou autres. En assistant aux débats organisés autour de modules variés, vous allez avoir l’occasion durant les prochains jours d’écouter des spécialistes reconnus dans des domaines très différents mais cruciaux pour le monde de la défense. Ces débats visent non seulement à vous ouvrir à des domaines académiques qui sont peut-être peu connus de la plupart d’entre vous, mais plus fondamentalement, ils ont pour objet de vous faire percevoir les multiples dimensions de l’environnement de la défense.
Il est important que, dès le début de votre formation militaire, vous soyez sensibilisés à des problèmes aussi essentiels que le développement de menaces transverses, le cadre juridique des opérations extérieures, ou la dimension médiatique des crises.
La connaissance de ces enjeux ne doit, en effet, pas être réservée aux seuls officiers d’état-major, mais elle s’impose à tous les cadres de nos forces, quel que soit le niveau de leur engagement opérationnel. Face aux mutations permanentes du monde contemporain, tout officier doit être capable d’appréhender des situations de crise complexes, afin de comprendre l’action que les autorités militaires attendent de lui. Ceci exige un enseignement renouvelé prenant en compte de nouvelles disciplines, afin de fournir des outils d’analyse et de compréhension de l’environnement international.
Le Sigem représente un modèle de cette ouverture à de nouvelles questions clés que toute formation d’officier comportera à l’avenir. Sachez profiter de cette opportunité dès le début de votre parcours professionnel.
Un moyen de connaissance réciproque
Ce séminaire ne constitue pas uniquement pour vous une occasion de vous initier à de nouvelles disciplines et d’enrichir votre compréhension des grands enjeux de la défense. Il doit être aussi une expérience humaine. Par sa nature interarmées, cette manifestation va vous offrir l’occasion de rencontrer de jeunes élèves officiers issus d’écoles militaires différentes, mais partageant le même engagement, les mêmes valeurs, les mêmes espoirs. Ces rencontres vous permettront, j’en suis sûr, de mieux connaître les composantes des autres forces de nos armées et elles contribueront sans aucun doute à vous faire percevoir la dimension interarmées de l’action militaire contemporaine.
En effet, l’engagement opérationnel sur des théâtres extérieurs implique aujourd’hui la nécessité de penser l’action des forces armées dans un contexte interarmées et interalliés. Il s’agit de coopérer, de valoriser les compétences par la mise en réseau de la connaissance mutuelle et d’utiliser de manière optimale les ressources globales dont dispose la défense. La coopération interarmées et interalliés au quotidien sera pour vous un exercice naturel. Il convient donc que dès à présent vous acquériez l’habitude d’un travail en commun, du partage d’expériences multiples, d’une recherche de la meilleure collaboration avec des officiers issus d’autres composantes de nos forces.
Vous initier aux nouveaux enjeux du monde de la défense, vous offrir l’occasion d’améliorer la connaissance réciproque avec les officiers de l’armée de demain, tel est le double objectif du Sigem, vous l’avez compris. Je suis persuadé qu’il constituera une étape particulièrement utile dans votre formation et contribuera hautement à vous faire prendre conscience de vos futures responsabilités.
Par les qualités dont vous avez déjà fait preuve, et dont vous pourrez donner la pleine mesure au sein des armées, par l’excellence et l’ouverture de la formation qui vous sera offerte tout au long de votre carrière, je sais que vous saurez relever les défis que vous prépare l’avenir, et qui seront décisifs pour notre pays. Vous pourrez ainsi pleinement jouer le rôle qui doit être celui de l’officier dans la Nation.
Les défis qui vous attendent
Une responsabilité particulière
Ce rôle comporte des responsabilités importantes et diverses. Vous devez avoir conscience de ce qu’elles impliquent. Vous êtes en effet des citoyens investis d’une mission exceptionnelle par la Nation : elle vous confie des hommes et des femmes. Dans les situations de crise ou de conflit, vous serez amenés à risquer votre vie et celle de vos subordonnés.
Les qualités pérennes sur lesquelles vous appuyer
Pour remplir votre rôle de chef, vous pourrez vous appuyer sur les qualités qui continuent de fonder l’état d’officier : la compétence, la clairvoyance, la détermination, l’exemplarité, la loyauté, l’écoute et le respect des autres.
Là où vous servirez, vous serez appelés à être les générateurs d’énergie de ce qu’on appelle l’esprit de corps. Votre sens de la camaraderie et de la cohésion permettront à vos subordonnés de former une communauté unie, et les rendront capables de ce dépassement de soi qui se révèle décisif au moment du combat. Pour autant, cet esprit ne devra pas être synonyme de repli sur soi, mais bien au contraire d’ouverture vers les autres.
Dans un contexte technologique de plus en plus crucial et en constante évolution, vous devrez maîtriser l’ensemble des compétences nécessaires à une armée moderne et performante. Vous devrez aussi être capables d’anticiper, de comprendre les évolutions du monde dans lequel vous vivez. Vous exercerez bientôt vos fonctions au sein d’une armée qui aura effectué une mutation profonde pour répondre à ces évolutions, notamment géopolitiques. Vous aussi, vous aurez à mener d’autres adaptations, à préparer l’avenir, à donner aux générations qui vous succéderont un outil de défense capable de faire face à l’imprévu.
De tout cela, vous serez les garants et les acteurs, vous qui êtes dépositaires, individuellement et collectivement, de la légitimité que la Nation vous reconnaît. Vous aurez un rôle particulier à jouer, en tant qu’officiers, responsables d’autres hommes. Je sais que vous serez dignes de la confiance que la Nation tout entière place en vous.
Je souhaite que le Sigem contribue à accroître votre connaissance de notre défense et qu’il enrichisse votre engagement. Je vous félicite et vous souhaite bonne chance pour affronter les défis que vous aurez à relever.
L’intégration dans la société
Soyez surtout attentifs à rester pleinement en phase avec la société, intégrés, engagés dans la vie sociale. Vous êtes des citoyens investis d’une responsabilité particulière. Il vous faudra être d’autant plus des citoyens à part entière. La formation que vous recevrez dans vos écoles vous y préparera : pendant ces années, vous ouvrirez vos horizons, géographiques, bien sûr, mais aussi professionnels. Vous multiplierez les expériences, et vous y puiserez cette ouverture d’esprit, cette curiosité qui vous permettront de vous faire connaître et apprécier par la société civile, tout en étant à son écoute et en y étant le plus possible intégrés.
Bientôt, vos affectations vous permettront de tisser d’autres liens. Malgré les difficiles exigences de la vie militaire, notamment en termes de mobilité, vous avez vocation à vous engager au niveau local, dans le tissu culturel et associatif qui vous entourera. Votre sens de l’initiative et celui des responsabilités vous y pousseront naturellement.
Cette tâche est plus que jamais nécessaire, à l’heure où la professionnalisation modifie profondément les relations qui unissent l’armée à la Nation.
Vous allez en effet servir dans une armée qui possède la confiance de la Nation. Cette confiance constitue un des piliers de notre démocratie. Les armées sont respectées par les Français, qui se reconnaissent en elles et sont légitimement fiers de l’efficacité dont elles font preuve aux côtés de nos partenaires étrangers.
Conclusion
Vous allez suivre une série de rencontres, de présentations et de débats qui représentent un gros travail. Ne croyez pas que c’est abstrait. Beaucoup de choses que vous entendrez sont nouvelles pour vous, mais décisives pour vous aider à comprendre les buts concrets de votre action dans l’avenir.
Vous avez choisi le métier militaire parce que vous aviez le goût du défi, et des missions difficiles. Il ne s’agit pas seulement d’une aventure passionnante, il s’agit aussi d’enjeux de première importance pour notre pays.
Vous êtes jeunes. Votre avenir comme officiers sera d’abord le résultat de cette motivation et de cette volonté. Je vous souhaite bonne chance.
Pour relever ces défis, nous avons besoin de cadres de haut niveau, aux qualités très complètes. Il vous faudra être ouverts sur la société qui vous entoure, capables de dialoguer avec toutes ses composantes, car notre défense ne pourra être efficace, dans les crises complexes qu’elle aura à gérer, que si elle est en permanence soutenue et comprise par nos concitoyens. ♦