La réserve et l'attente, l'avenir des armes nucléaires françaises
Les armes nucléaires nous ont tant fait causer que l’on pensait le sujet épuisé. Épuisé le sujet, disparu aussi l’affrontement Est-Ouest qui, durant de longues années, a donné au débat une grandeur tragique. Or voilà que deux maîtres en la matière, l’ancien et le jeune, ne se satisfont pas d’un apaisement dont beaucoup se réjouissent. Pour eux, la disparition de la stratégie est elle-même objet de stratégie. Attendre, dit Lucien Poirier, mettre en réserve, dit François Géré : blanc bonnet et bonnet blanc.
Attente de quoi ? d’on ne sait quoi, répond Poirier, ou de rien. Tout peut être contesté, « à commencer par l’axiome de la pérennité de la violence armée comme moyen de la politique ». Ce n’est pas nous qui lui donnerons tort ! Mais l’attente n’est pas sans « espoir » et le mieux n’est pas toujours sûr. Une « France crépusculaire » se retire du jeu stratégique avant même que l’Europe de la défense ne soit constituée. Pour s’y réinsérer, il lui faudrait une « catastrophe » telle que l’interruption du processus européen. Si, à l’inverse, une Europe autonome voit le jour, on ne saurait écarter l’hypothèse, scandaleuse mais obligée pour le stratège en manque, d’une autre hostilité Est-Ouest, cette fois entre Europe et États-Unis (p. 85). Dans la longue et subtile analyse du général Poirier, le lecteur relèvera deux points particuliers mais vigoureusement exprimés : la critique (p. 165) de quelques abandons, essais nucléaires, plateau d’Albion, missiles Hadès ; le bousculement d’une idée reçue, qui fait de la prolifération le danger majeur. La prolifération est facteur de stabilité, pour peu (ce qui n’est pas rien) que les nouveaux venus soient… bien éduqués.
François Géré ne contredit pas son maître. Il décrit clairement le « géosystème nucléaire » de l’après-guerre froide. Très conscient du grand courant qui érode la légitimité de la Bombe, il œuvre pour la défendre. Sa troisième partie est un « discours de la juste conservation des armes nucléaires ». La dernière phrase du livre le résume : « En réserve, les armes nucléaires peuvent consacrer le succès de la grande entreprise européenne. Elles peuvent aussi constituer une sorte d’équipement de survie ». ♦