Guerre froide et guerre d'Algérie, 1954-1964
De 1954 à 1957, Michel Forget est pilote à la 4e Escadre de chasse, en RFA. De janvier 1958 à juin 1960, il est en Algérie, au PC Air de Batna d’abord, à l’état-major du général Challe ensuite. À l’été 1960, il rejoint à Dijon la 2e Escadre. Ce parcours justifie le titre de l’ouvrage : Guerre froide et guerre d’Algérie. Il permet aussi à l’auteur de juger en connaissance de cause le « grand écart » auquel a été soumise notre armée de l’air durant une décennie cruciale. En Europe, elle comptait 200 avions en 1950 ; elle en met en œuvre 850 en 1956, chiffre qui fera rêver les aviateurs d’aujourd’hui. Les réacteurs ont remplacé les moteurs à hélice et poussent les appareils aux vitesses transsoniques. En 1960 apparaît notre Mirage III. Le 1er octobre 1964, le premier escadron de Mirage IV, avec son arme nucléaire 22, est opérationnel. Étroitement liée à l’Otan notre stratégie, à partir de cette date charnière, commence à s’en distinguer.
De l’autre côté de la Méditerranée, cependant, nos aviateurs (les mêmes), se retrouvent aux commandes des T6, avions rustiques, à hélice bien sûr, qui conviennent à cette nouvelle « guerre du Rif » que l’on mène, dans les Aurès en particulier. Pauvre en électronique, « plein de vide », l’avion est peu vulnérable à la ferraille dont les fellagas le mitraillent. La mission principale est l’appui des troupes au sol, et « le cirque » se déclenche dès que celles-ci sont au contact. Mais la reconnaissance à vue (RAV), est la mission la plus subtile, à la recherche d’un ennemi léger et évanescent. Le lecteur, étonné d’abord, comprend comment, du ciel, l’observateur entretient avec le terrain, mais plus encore avec l’adversaire, une familiarité efficace, où la lecture des traces (eh oui !) est essentielle. Le summum est atteint lors des « RAV prisonniers » où un rallié embarqué en Broussard guide le pilote sur les caches qu’il a pratiquées. Peu de risques pour nos hommes ? Voire ! 262 aviateurs trouveront la mort en Algérie. Le crash reste la hantise, le sort promis aux rescapés tombés aux mains des fells étant de « mourir deux fois ». Pas d’états d’âme, donc, dans la traque des fellagas ; mais pas de haine non plus, sinon pour « le système » cruel auquel le FLN veut soumettre une population qui n’en peut mais.
Quittant les Aurès pour Alger, l’auteur sera, aux côtés du général Challe, au cœur de notre stratégie. Le « plan Challe » fait merveille, dont les opérations se succèdent de février 1959 à janvier 1960. La politique suit un autre chemin, tortueux, peu assuré. L’épisode des Barricades marque un seuil. Trois mois après, exit Challe, qu’on retrouvera un an après à la tête du putsch. Cet engagement ultime du général eut de grandes conséquences. Il reste, pour l’auteur, inexpliqué.
Relatant ces tristes événements et leur malheureuse conclusion, le général Michel Forget fait preuve d’une grande lucidité et d’une estimable modestie. On admirera aussi, dans un ordre plus militaire, la délicatesse amicale avec laquelle il décrit les rapports des deux armées, celle du ciel et celle du sol, leurs mérites respectifs, le rôle de l’une et de l’autre dans le combat commun. Appuyé sur une expérience unique (l’auteur a exercé dans l’armée de l’air les plus hautes responsabilités opérationnelles), écrit dans un style agréable, le livre se termine par un message d’espoir : on ne saurait douter d’un pays et d’une armée qui, au cours de ces dix années, ont su faire face à de tels bouleversements et de telles épreuves. ♦