Malet
« L’homme qui fit trembler Napoléon » affirme le sous-titre. Le coup d’État manqué révéla en tout cas les faiblesses du régime impérial et le livre réfute la représentation schématique d’une décennie de pouvoir sans nuage précédant un brusque déclin amorcé de Moscou à Leipzig. En effet, dès 1807-1809, après la boucherie d’Eylau, les tracas ibériques et le laborieux succès de Wagram (l’auteur a-t-il raison d’y situer une « armée – russe – malmenée » ?), l’image se détériore. Malgré Tilsit et le mariage autrichien, si l’Empire dans ses prémices était beau sous la République, la formule inverse commence à germer dans les esprits. Le peuple est las ; quant aux hommes en place chargés de prendre le pouls de la Nation, Fouché en tête, ils observent une prudence de serpent, se vautrent dans les ors et les prébendes, mais ils se bornent à constater les fissures du système en se tenant prêts à saisir l’occasion, sans « avoir le courage de la provoquer ».
Un personnage pratiquement seul, Malet, a le cran de passer à l’action. Il est obstiné, sincère et intègre. Ce nobliau libéral a, dès sa jeunesse, joué les mauvais numéros, accumulé les motifs de rancœur et acquis une réputation de « mauvais coucheur ». Le voici devenu comploteur invétéré au sein de la société des Philadelphes et collectionneur de « projets extravagants », ce qui finit par le mener d’une prison à une autre. Décidément, les militaires ne sont pas faits pour des coups de ce genre : vigueur dans l’exécution, mais faiblesse dans la conception. Les plans de Malet, et en particulier celui qu’il lance en octobre 1812, reposent néanmoins sur des bases de départ solides et rationnelles : d’une part, mettre à profit un éloignement prolongé de l’Empereur, qui est d’ailleurs conscient de cette cause de fragilité : « Il faut, comme avec les femmes, ne pas faire de trop longues absences ! » (à l’époque, six jours sont nécessaires pour un échange de courriers avec Bayonne au moment de l’affaire d’Espagne et quatre fois plus avec Moscou lors de la campagne de Russie) ; d’autre part, viser la tête en neutralisant les responsables par un coup de « bluff monumental » avant qu’ils puissent réaliser ce qui leur arrive. Effectivement pour ce troisième et dernier essai, on est confondu par la facilité avec laquelle se déroulent les opérations préliminaires mais, au premier grain de sable, en l’occurrence la réaction d’un colonel pourtant décrit comme « un rond-de-cuir de mœurs crapuleuses », tout s’effondre. Il faut dire que Malet était fort mal entouré de complices : intempérants, naïfs ou bavards, à l’exception de La Horie, à qui il convient de rendre hommage (le lecteur oublieux apprendra pourquoi) à l’occasion du bicentenaire de Victor Hugo. Une fois la conspiration déjouée et les coupables exécutés à l’issue d’un procès expéditif, il reste aux gardiens du Temple de quoi être penauds devant l’Empereur au retour de celui-ci, lorsqu’on découvre que « jamais conspiration n’avait compté si peu de participants » et surtout – distraction majeure – que personne n’a songé une minute au roi de Rome à l’annonce de la mort de son père.
Chantre du patriotisme franc-comtois, André Besson ne cache pas sa sympathie pour un homme dont le seul tort fut de ne pas réussir, ni pour sa pauvre et admirable épouse Denise. Il fait preuve en revanche de la plus grande sévérité pour le « tyran corse » et pour la façon dont celui-ci abandonna ses troupes à leur triste destin durant la désastreuse retraite. Aussi peut-on conseiller à cet auteur, pour sa sécurité, d’arpenter les rues de Dole, qui vit naître non seulement Pasteur, mais aussi Malet, plutôt que celles d’Ajaccio. ♦