Chronique d'une guerre d'Orient
Gilles Kepel est en colère. Il a été, avec quelques autres « islamologues », beaucoup moqué pour avoir annoncé « le déclin de l’islamisme » (1). Ce petit livre est une réponse à ses détracteurs, chronique des voyages qui ont amené l’auteur, en octobre et novembre 2001, en Égypte, au Liban, en Syrie, au Qatar et dans les Émirats arabes unis. Rien n’est simple en Orient, on le sait, et moins encore depuis le 11 septembre. L’Amérique, c’est le diable, mais le diable séduit. La rigueur religieuse côtoie la licence. À Doubaï, le commerce est roi et, dans les boîtes de nuit, les entraîneuses entraînent. À Sharjah, les étudiants vont à la fac dans de luxueuses voitures où la sono alterne musique techno et prédication édifiante. Au Caire, les paraboles se vendent sur les trottoirs et l’on zappe d’Al Jazeera aux chaînes turques de porno-hard. Dans l’avion du Caire à Paris, quatre jeunes gens, ayant fait leurs ablutions dans les toilettes, disposent entre les sièges leurs tapis de prière.
Les journaux réprouvent les attentats de New York, mais « l’agression » américaine contre l’Afghanistan justifie le jihâd. Oussama ben Laden est le porte-drapeau. Les filles sont les plus ardentes à le défendre. À Damas, le logo dernier cri représente le héros en gros plan sur fond d’avions percutant les tours. Dans les maternités de Tripoli du Liban, Oussama est le prénom en vogue. Samuel Huntington fait un malheur avec son Choc des civilisations traduit en arabe : les islamistes jubilent, voyant leur combat annoncé par l’Américain. Le cheikh al-Qardhawi, sorte de « papa Doc » intégriste, dialogue sur Al Jazeera avec les auditeurs. Lui n’a que mépris pour cet ignare d’Oussama ben Laden. Le jihâd moderne, pense-t-il, n’a que faire de la violence. Avec l’Internet et la télé, ça marche tout seul.
Gilles Kepel reste optimiste. Fin novembre, les premiers succès américains en Afghanistan ont refroidi les fanatiques d’Oussama ben Laden. Reste « l’immense malaise des sociétés musulmanes » ; s’il s’exprime en langage religieux, c’est « faute de mieux ». ♦
(1) Gilles Kepel : Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, Gallimard. Voir Défense Nationale, août-septembre 2000.