Sécurité et défense en Europe - Le nouveau partage du monde : les grands commandements américains
Comme l’a officiellement annoncé le 17 avril le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, les grands commandements interarmées américains seront profondément restructurés à partir du 1er octobre, au moment où entrera en vigueur le nouvel Unified Command Plan (UCP) qui organise les opérations en répartissant l’espace en aires de responsabilité (AOR) et les missions des grands commandeurs, Commander in Chief (Cinc).
Marqué à la fois par les conséquences des événements du 11 septembre et la volonté d’accélérer le processus de Transformation des forces, ce nouveau plan constitue une profonde évolution.
Le plan 2002 concrétise des réflexions conduites depuis de longs mois au Pentagone. Elles se sont cristallisées autour de trois volontés : celle d’abord de bâtir une organisation plus efficace contre les menaces concernant le territoire américain ; celle ensuite de se doter d’un meilleur outil pour réaliser la Transformation ; celle enfin d’adopter un découpage géographique (pour la première fois, toute la surface du globe est répartie entre les grands commandements américains) ne reflétant plus les schémas de la guerre froide.
Un nouveau grand commandement interarmées pour la défense du territoire
C’est la création d’un nouveau grand commandement, Northern Command (Northcom), qui marque d’abord le souci désormais prioritaire de défense du territoire, Homeland Defense. Northcom qui sera très vraisemblablement situé dans le Colorado, prendra sous sa coupe le North American Aerospace Defense (Norad), chargé jusqu’ici au sein de Spacecom des approches aériennes du territoire. L’AOR du nouveau grand commandement comprendra non seulement l’ensemble du territoire américain, mais aussi ses approches terrestres et maritimes ; il couvre les 48 États contigus ainsi que l’Alaska, le Mexique et 500 milles nautiques d’eaux littorales, ce qui englobe le golfe du Mexique, les îles Vierges américaines, Porto-Rico et… Cuba. Censé travailler dans la plus étroite collaboration avec le bureau de la Homeland Security créé par le président Bush au sein de la Maison-Blanche, Northcom reçoit la charge de la coordination de l’aide militaire fournie aux autorités civiles sur le territoire américain, sans toutefois être directement responsable ni de l’engagement des forces de la National Guard sur le territoire — qui reste de la responsabilité des gouverneurs d’État — ni de celui des forces d’active qui ne peuvent, en l’état de la législation, intervenir sur le territoire national. Pas de réponse encore pour la défense antimissiles ; la logique du nouvel UCP voudrait qu’elle soit confiée au nouveau commandement, mais la question n’a pas été tranchée.
Des responsabilités redéfinies pour les autres grands commandements
La volonté de faciliter la Transformation et d’en accélérer le processus se concrétise par la restructuration d’un commandement dont cette affaire devient la préoccupation essentielle. Ainsi, le Joint Forces Command (JFCOM), situé à Norfolk, perd ses prérogatives en matière de défense du territoire ainsi que ses responsabilités géographiques au titre du commandement Otan, ce qui pose d’ailleurs la question de la localisation — voire de l’existence — de Saclant. Libéré de toute contrainte opérationnelle et préoccupation de court terme, JFCOM va devenir le laboratoire pour la modernisation des forces américaines tout en confirmant son rôle central pour l’entraînement et la doctrine interarmées.
La guerre froide avait confié jusqu’ici au Pentagone lui-même le soin de traiter du territoire de la Russie, du Mexique et du Canada. On a vu que ces deux derniers pays ont été placés sous la responsabilité opérationnelle de Northcom ; pour leur part, la Russie, les pays riverains de l’Ouest de la Caspienne, le Groenland et l’Islande ainsi que l’Atlantique sont « affectés » à European Command (Eucom). L’Antarctique, dans le grand sud, rejoint la zone de Pacific Command (Pacom).
On voit que si la diffusion de ce nouveau plan avait pris un peu de retard (il doit en principe être révisé tous les deux ans et l’échéance légale correspondait au dernier mois d’octobre) en raison des attentats de septembre, il a également été très marqué par ces événements qui, dans ce domaine comme dans d’autres, ont provoqué une forte évolution pour les armées américaines. Cette révision est, d’après les experts, la plus ambitieuse depuis la création de l’UCP en 1946. On constate au bilan une augmentation du nombre des grands commandements (de 9 à 10), avec à la fois un nouvel équilibre entre les grands commandements régionaux (au nombre de 5, avec Eucom, Pacom, Centcom, Southcom et Northcom) et fonctionnels (également au nombre de 5 avec Stracom, Transcom, Spacecom, Socom et JFCOM) (1) et une nouvelle clarification dans les responsabilités de JFCOM — qui perd le caractère mixte opérationnel et fonctionnel qu’il avait formellement acquis lors du dernier UCP — ainsi qu’en termes de défense du territoire, partagée auparavant entre deux grands commandements.
Pour l’instant, le nouvel UCP n’en est qu’au stade de projet et doit encore être approuvé par le Congrès et le président. Les changements à venir devraient cependant être mineurs puisque l’obstacle majeur des confrontations entre les différentes armées américaines, comme entre les grands commandeurs de ces dernières, est désormais passé. Aucune évolution importante ne devrait donc plus intervenir avant la prochaine version, celle de 2004. ♦
(1) Strategic Command ; Space Command, Transportation Command ; Special Operations Command ; les deux premiers commandements pourraient bien être fusionnés à l’avenir.