Asie - ACEH : fin de l'option diplomatique
Déception après la rupture des négociations entre le gouvernement indonésien et le groupe rebelle indépendantiste GAM (Gerakan Aceh Merdeka, le mouvement pour un Aceh Libre).
De passage à Paris le 22 mai 2003, le chef de la délégation du gouvernement indonésien dans la négociation avec les rebelles du GAM, l’ambassadeur Wiryono Sastrohandoyo, a tenu une conférence de presse afin d’expliquer le pourquoi de l’échec des pourparlers qui avaient pourtant bien commencé par la signature le 9 décembre dernier d’un accord sous les auspices de l’ONG, le Centre Henri Dunant en Suisse. Organisée au Centre d’accueil de la presse étrangère (CAPE), à la maison de la radio, il n’y avait malheureusement que peu de journalistes car au même moment, Collin Powell se trouvait non loin de là…
Depuis le 18 mai minuit, Aceh est sous la loi martiale (1) pour six mois (décret présidentiel n° 28/2003) et, depuis le 19 mai matin, une opération militaire de grande envergure a été lancée : près de 30 000 soldats et policiers indonésiens sont d’ores et déjà à pied d’œuvre dans la province.
Dans la partie nord de Sumatra, depuis 1976, un mouvement indépendantiste conduit par Hassan Di Tiro en exil en Suède (2), résiste à Jakarta et cherche à se libérer de l’État indonésien. Partie intégrante de la république depuis sa création, la province d’Aceh ne compte que quatre millions d’habitants et recèle d’importantes ressources naturelles, notamment en gaz naturel liquéfié ; Aceh est ainsi une des quatre provinces les plus riches et les plus rentables de l’archipel indonésien avec les îles Riau, Kalimantan Est et la Papouasie occidentale.
Comment sommes-nous arrivés à une telle situation en Aceh ? Le mouvement rebelle GAM ne compte que 5 000 partisans et près de 2 000 fusils ; cependant, depuis près de vingt-sept ans maintenant, aucune solution viable et pacifique n’a pu être mise sur pied par les différents gouvernements indonésiens successifs. Pendant dix ans même, à partir de 1998 et jusqu’à la chute de Suharto, Aceh fut classée zone d’opérations spéciale (DOM). Pendant cette période, les parties belligérantes ont causé du tort aux populations civiles, et l’armée indonésienne n’a pas précisément fait montre de réel professionnalisme. Par ailleurs, alors que l’armée indonésienne (TNI) se trouvait face à un relatif petit mouvement, son incapacité (volontaire ou non) à éradiquer l’insurrection armée a montré qu’elle était davantage une institution politique qu’une force opérationnelle professionnelle, un héritage des années Suharto. Rappelons que le conflit a fait jusqu’à présent près de 10 000 morts et causé des dégâts importants, rendant la vie impossible aux populations civiles locales.
Avec l’avènement du président Abdurrahman Wahid, élu démocratiquement fin 1999, des négociations entre les autorités indonésiennes et le GAM ont été lancées sous les auspices du Centre Henri Dunant situé à Genève. Un travail de longue haleine qui avait conduit malgré tout à un accord signé le 9 décembre dernier et qui avait vu la situation nettement s’améliorer, avec une diminution manifeste des altercations meurtrières, qui étaient auparavant quotidiennes. La France a participé à ce processus de paix, dernièrement, en permettant la rencontre des parties au petit Trianon de Versailles. Suite à cet accord, avait été mis en place un COHA (Cessation of Hostilities Agreement) avec l’envoi sur place d’une cinquantaine d’observateurs étrangers, essentiellement thaïlandais et d’ailleurs sous l’autorité d’un général de l’armée royale de Thaïlande. Malgré le soutien du Japon, des États-Unis, de l’Union européenne et de la Banque mondiale, à la conférence dite de Tokyo, qui visait durant la deuxième semaine de mai à finaliser et à appliquer les résolutions de l’accord, le GAM a fait volte-face, demandant une renégociation. Le point litigieux portait sur l’acceptation d’Aceh comme province, certes à autonomie spéciale depuis le 1er janvier 2001, mais partie intégrante de la République d’Indonésie. Le GAM est revenu sur ce préambule, comme d’ailleurs sur l’acceptation de déposer progressivement les armes, ce qui a donc conduit à la fin des négociations et au déclenchement des opérations militaires.
Toutefois, il ne faudrait pas se focaliser sur le seul aspect militaire de la situation nouvelle, même si cela est spectaculaire et médiatique (largage de parachutistes, bombardements aériens, débarquement de Marinir etc.), quand bien même il s’agit de la plus grande opération militaire engagée par Jakarta depuis l’invasion du Timor-Oriental en décem-bre 1975. En effet, la décision présidentielle vis-à-vis de la question acehnaise comporte quatre points ; l’aspect sécuritaire n’en est que le quatrième, les autres points étant l’amélioration des conditions « humanitaires », la stabilisation du gouvernement local et enfin le rétablissement de l’état de droit. Ce qu’il faut souligner, c’est que depuis de nombreuses années un grand nombre de collectivités locales n’existent plus : les responsables ayant abandonné leurs postes pour ne pas être pris entre deux feux ; c’est ce qui a conduit au développement de véritables zones de non-droit favorables à l’enracinement et à la pérennisation de la rébellion.
C’est donc une autre démarche qu’a engagée la présidente Megawati, après diverses tentatives passées (socioculturelles, militaires, etc.) ; un défi entrepris pour maintenir l’intégrité du territoire mais qui renforce, par voie de conséquence, la position de l’armée indonésienne au sein de la vie politique. Les élections présidentielles et législatives sont prévues pour 2004, et bénéficier de l’appui de la TNI n’est pas négligeable dans un pays où l’institution militaire a toujours joué un rôle prééminent dans la vie politique de l’archipel et ce depuis l’indépendance.
Il serait stupide néanmoins de critiquer l’attitude du gouvernement indonésien alors qu’il a réellement fait preuve de persévérance et de bonne volonté dans son désir de régler pacifiquement la question acehnaise depuis ces dernières années. S’il est vrai qu’il y a des « faucons » au sein du gouvernement et de l’armée, il n’en demeure pas moins qu’il existe aussi des extrémistes chez les dirigeants du GAM ; les bellicistes des deux camps tirant un bénéfice d’une situation conflictuelle sans fin, comme d’ailleurs les vendeurs d’armes étrangers…
Certains commentaires journalistiques abusifs ont voulu comparer la situation acehnaise à ce qui se passe en Tchétchénie, comparaison infondée non seulement à cause du nombre peu important de rebelles en armes, mais encore puisque la province d’Aceh a toujours été partie intégrante de l’Indonésie. D’autres commentaires, tout aussi fallacieux, ont tenté et tentent de présenter ce conflit sous l’angle religieux, décrivant les rebelles comme autant de fondamentalistes islamistes (idée dans l'esprit du temps) ; s’il est vrai qu’il y a une forte identité musulmane en Aceh comparativement au reste de l’Indonésie — ce fut la première région de l’archipel à avoir été islamisée — les quatre millions d’habitants de la province ne sont en aucun cas dans la mouvance islamiste radicale, et enfin aucun point de l’agenda politique du GAM ne soulève la question religieuse.
La visite de l’ambassadeur Wiryono Sastrohandoyo en France n’est pas fortuite, alors qu’il quittait Tokyo et pouvait rentrer directement à Jakarta. Poursuivant son travail de diplomate, M. Sastrohandoyo veut toujours croire en une solution pacifique et convaincre les Français et les Européens de l’aider dans cette entreprise. Pour lui, la porte des négociations reste entrouverte et il est toujours possible de faire taire les armes. ♦
(1) Une loi martiale appliquée conformément à l’article 23/prp/1959 amendée dernièrement par la loi n° 52/prp/1960.
(2) Dont il a la nationalité.