Difficile de s'élever au-dessus de l'intoxication médiatique, à propos de la guerre d'Irak ! C'est ce qu'on tente ici, autour de quatre thèmes : le « posthéroïsme » américain, la dissymétrie des adversaires, l'intelligence des armes, les rapports de la force et du droit.
La guerre « posthéroïque »
La guerre d’Irak devrait incliner les commentateurs à la modestie. Quelque perspicace qu’il se croie, l’honnête homme de ce siècle est le jouet des médias. Face à la guerre qui menace, qui se joue, qui s’achève, l’opinion est comme girouette au vent, et le vent du moment est toujours le bon vent. Quand elle se préparait, la guerre était une infamie, et de surcroît vouée à l’échec. La guerre gagnée, vite et à peu de frais, elle était peut-être bonne. Que la réorganisation de l’Irak tarde, que le désordre s’y aggrave, la guerre redeviendra mauvaise, comme on avait dit qu’elle serait. Essayons donc de prendre un peu de hauteur et proposons, imprudemment, quelques observations.
« LA GUERRE D’IRAK N’A PAS EU LIEU »
Jean Baudrillard, à l’issue de la guerre du Golfe, avait, dans un titre provocant, déclaré que celle-ci n’avait pas eu lieu. Appliquée à la guerre d’Irak, sa provocation devient pertinente. La guerre, pour être telle, doit être menée par deux parties. Celle qui vient de se dérouler n’en a impliqué qu’une. Ce n’est pas insulter la mémoire des quelque 170 soldats de la coalition qui y ont laissé la vie que de constater qu’ils n’avaient pas, en face d’eux, d’ennemi consistant. Avant même les hostilités, l’armée irakienne ne comptait plus, organisée qu’elle était, pour la seule survie du régime, en une pyramide où les troupes d’élite avaient pour mission première de surveiller celles qui ne l’étaient point. Pour casser les vieilles machines, dont cette pauvre armée disposait encore, et faire face aux escarmouches suscitées par quelques séides du pouvoir, l’Amérique réunissait la plus puissante force que le monde ait jamais connue, animée de ce qu’on peut appeler une indifférence rageuse. Rage, en effet, du légitime défenseur, enragé de ce que, le 11 septembre 2001, on ait osé s’en prendre à son île, sacrilège dont, lui disait-on, Saddam Hussein était le complice prêt à récidiver, et avec armes de destruction massive s’il vous plaît. Indifférence, aussi, du soldat de l’ère postheroic. Contrairement au refrain dont l’antiaméricanisme nous rebat les oreilles, les Américains ont horreur de la guerre. Que les archéoguerriers, de l’autre côté de l’eau, les obligent à s’en mêler les met en fureur. Pas de quartier pour ces attardés ! Foin de l’honneur militaire et autres billevesées ! De cette impitoyable colère, les mécanos ont donné une belle preuve, taguant de leurs graffitis obscènes les bombes des avions et les tubes des canons.
DISSYMÉTRIE ET ASYMÉTRIE
Rage aidant, le « zéro mort » n’était plus exactement à l’ordre du jour. Mais, depuis la fin de la guerre froide, l’armée américaine a continué avec obstination à se doter d’une overwhelming capacity qui lui assure une supériorité péremptoire. Celle-ci était telle, et si évidente, que cette non-guerre n’eût jamais dû commencer. Clausewitz enseigne que l’évaluation préalable des forces en présence devrait, en cas d’inégalité flagrante, amener le faible à se soumettre et qu’ainsi il ne devrait y avoir de guerre qu’entre adversaires de même pied. Mais il enseigne aussi que les « frictions » propres au milieu guerrier portent le faible, confiant dans la justesse de sa cause et le moral de ses troupes, à tenter l’impossible. C’est ce qu’a fait, semble-t-il, Saddam Hussein, et contre l’évidence. Son armée ne s’y est pas trompée. Toute velléité de résistance noyée sous un déluge de feu, il n’y avait pas de honte à jeter uniforme et pétoires pour se tirer des flûtes.
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