Le départ des Anglais et la défense des Indes
Et maintenant, dix années de chaos !… Inévitable, mais nous en sortirons. » Ainsi me parlait un des meilleurs observateurs des choses de l’Inde — un journaliste indien — à New-Delhi, au soir de la journée du 3 juin. Ce jour-là, date historique pour les Indiens, avait été décidée par les leaders hindous et musulmans, en présence de Lord Mountbatten, la division du pays entre le Pakistan et l’Hindoustan (lequel devait finalement, prendre le nom de « l’Inde » tout court). Dix années de chaos ? À Londres, M. Churchill faisait écho à cette sombre prédiction. Mais M. Attlee et les travaillistes avaient, en faveur de leur décision de quitter l’Inde, un argument majeur, jamais publié, toujours sous-entendu pour qui savait comprendre : c’est que l’Angleterre n’avait pas le choix. Quitter les Indes, c’était pour elle une décision inéluctable, si du moins elle ne voulait pas être entraînée elle-même avec ses soldats, ses finances, son prestige, dans le chaos même qui se préparait.
Depuis la défaite japonaise et le retour de la paix en Asie, les Anglais se trouvaient aux Indes devant la menace d’une double catastrophe : révolte du nationalisme indien, d’une part, et conflit entre les Indiens entre eux d’autre part. Or, les rapports qui parvenaient à Londres, surtout depuis la seconde moitié de 1946, ne cessaient d’avertir le Gouvernement d’une donnée essentielle de la situation : l’Angleterre n’était plus de force à faire face au péril. Manque de troupes d’abord : 80.000 soldats anglais pourraient-ils maintenir l’ordre dans ce « sous-continent » de 400 millions d’hommes ?… 80.000 soldats qui, d’ailleurs, ne seraient bientôt plus que 50.000 au rythme des démobilisations de l’après-guerre. Manque de cadres civils d’autre part : l’I. C. S. (Indian Civil Service), ce puissant corps de fonctionnaires civils britanniques, avait cessé d’être « le cadre d’acier de l’empire » dont parlait Lloyd George. L’arrêt du recrutement provoqué par la guerre et l’« indianisation » progressive des bureaux ne laissaient plus en place qu’environ 500 fonctionnaires d’élite, à la tête d’une administration que les rapports décrivaient comme subissant une véritable décomposition. Ce n’est pas avec 500 hommes, même appuyés par une armée, qu’on peut espérer tenir une nation de 400 millions : du moins, pareil exploit ne pourrait, en tout cas, se prolonger longtemps dans l’Asie d’après-guerre, depuis qu’y lève le puissant levain du nationalisme. Reconstituer les cadres ? Renforcer l’armée ? C’était trop tard ; et cela eût coûté trop cher à l’Angleterre, harassée par les fatigues d’une longue guerre. Ajoutons, enfin, que les Anglais, malgré les exhortations de Churchill, ne se sentaient sans doute même plus la vocation qu’il aurait fallu mettre au service d’un renouveau de la politique impérialiste préconisée par les tories. Dans le dur hiver de 1946-1947, l’Angleterre préférait écouter M. Attlee, lorsque celui-ci lui disait qu’il était temps de tourner la page aux Indes, de donner aux Indiens une indépendance qui répondrait, à la fois, aux exigences des faits et à celles de l’idéal de la Grande-Bretagne, mère des libertés…
Où Mountbatten corrige l’erreur d’Attlee.
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