La Politique européenne de sécurité et de défense de l'opératoire à l'identitaire
La construction européenne est non seulement un objet politique inédit, mais aussi particulièrement complexe dans sa trajectoire historique comme dans toutes ses pratiques, et plus encore dans celles afférentes à la sécurité et à la défense. Aussi, après l’entrée de dix nouveaux membres dans l’Union, l’ouvrage d’André Dumoulin, Raphaël Mathieu et Gordon Sarlet intervient à point nommé pour comprendre les mécaniques, les enjeux et les développements d’une Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) certes en expansion mais trop peu connue.
D’emblée, l’ouvrage s’impose comme une référence en la matière. Pluridisciplinaire et mêlant les approches politiques, économiques, technologiques, sociologiques ou encore philosophiques, c’est le premier dans cette catégorie et on peut gager qu’il restera longtemps le plus complet. Les auteurs, qui, sur cette matière, n’en sont pas à leur premier essai, positionnent les 938 pages de leur ouvrage dans une grande sobriété textuelle, évitant le piège des nuances ampoulées nuisibles à la compréhension du sujet. Aussi, si son volume peut a priori rebuter, il se révèle d’une lecture agréable, surprenant de pédagogie et se termine par des annexes fort utiles (dont une chronologie de 10 pages), mais aussi par une bibliographie aussi impressionnante que l’index.
L’ouvrage en tant que tel dépasse le biais souvent observé en matière de PESD d’une description trop historique pour se poser les bonnes questions : la PESD peut-elle apporter une affirmation politique européenne ? Quelles pourraient être les voies prises par un concept stratégique européen ? Quelle sera l’évolution de cette politique et de ses instruments et structures ? Quels rapports entretiendra-t-elle avec l’Otan ? La PESD peut-elle être réellement autonome ? Aussi, après trois chapitres plus particulièrement historiques et abordant les positions nationales comme les initiatives bi- et multilatérales en matière de défense (par ailleurs trop souvent ignorées), les auteurs examinent systématiquement les facteurs structurels et les composantes de la PESD dans une deuxième partie.
Pour l’observateur attentif de l’Union, c’est le second chapitre de cette partie qui pourrait représenter le plus d’intérêt, abordant la question d’une identité stratégique européenne, notamment en montrant la progression et les orientations des travaux concernant le Livre blanc et le Concept stratégique européen récemment adopté et auquel André Dumoulin a participé au sein de l’Institut d’études de sécurité de l’UE. La troisième et dernière partie de l’ouvrage, consacrée aux « difficultés du processus PESD » tempère toutefois la progression pour le moins chaotique de la PESD en tant que processus politique. Les auteurs y précisent les lacunes matérielles, mais aussi budgétaires de la PESD avant de s’intéresser à la question des cultures nationales ou aux coopérations transversales (y compris dans le domaine des industries de défense).
Au final, les analyses de facteurs externes à la PESD à proprement parler, comme le positionnement américain à son égard sont abordées de même que la difficile et polémique question turque. Pour délicates que soient ces questions, les auteurs évitent toutefois le piège de la prise de position pour plutôt procéder à leur collecte et à leur mise en perspective. C’est là une des qualités qui traverse tout l’ouvrage : même s’il est plus que probablement – mais partiellement seulement – appelé à vieillir en fonction des développements de la PESD, l’objectivité qui a présidé à sa rédaction en fait une véritable bible sur le sujet. L’ouvrage acquiert alors le statut inédit d’une introduction ultradocumentée sur la PESD, mais aussi d’un véritable instrument d’aide à la décision par ailleurs très favorablement accueilli par Javier Solana, qui a rédigé la préface. Aussi, alors que les auteurs terminent ce travail de très haute tenue sur la présentation de six scénarios pour l’avenir de la PESD, nous ne pouvons que souhaiter la poursuite de leurs travaux dans le sens qu’ils leurs ont donné. ♦