Traversées de la France
Jean-Pierre Péroncel-Hugoz fut longtemps correspondant du Monde au Caire. Islamologue, il a su, face aux séductions de l’Orient, garder son quant-à-soi. On se souvient de son Radeau de Mahomet (1). Son audace d’alors l’a contraint à changer de métier. Le voilà donc en France, mais toujours voyageur, appliqué à sillonner le beau pays que cet homme fidèle appelle sa patrie. Il réunit ici les chroniques que son journal a publiées et qui font un livre charmant. Il s’agit certes d’un guide, mais guide désinvolte où s’entremêlent, au bon vouloir du narrateur, histoire, littérature, cuisine et bon vins, villes et paysages, châteaux et fermettes. Le partage en quarante-huit chapitres, chacun consacré à un petit ou grand pays, permet d’y faire les choix opportuns. Pourtant le style est si pimpant et les découvertes si surprenantes qu’ouvrir l’ouvrage est imprudent : vous aurez peine à le refermer.
Défilent alors, dans le désordre et selon votre humeur : un village morbihannais né du caprice d’une nièce de l’Empereur, qui y créa un établissement agricole ; un phare, breton aussi, qui doit son nom au prince d’Eckmühl et son existence au legs consenti par la fille de Davout ; l’Eure-et-Loir, département littéraire (de Racine à Péguy) dont le chef-lieu est devenu « un petit Beyrouth » ; la Gaullie, pays de Colombey et alentours ; Nîmes et ses pieds-noirs, Rians du Var et ses harkis ; le Tarn et Jean Jaurès ; Varennes, où l’insouciance du roi en fuite est une grande leçon. Notre Outre-Mer est là : la Guadeloupe et Saint-John Perse ; la Guyane, serre moite où mûrissent de grands hommes pittoresques ; la Martinique, où règne Aimé Césaire, Mitterrand des Caraïbes, et où il vous faudra vous reconnaître entre békés, békés-goyaves, z’oreilles, câpres, coolies et échappés-coolies, peaux-sauvées, Noirs-Congo et chabins, tous négs pour autant. Point n’est besoin d’aller si loin, l’Outre-Mer est désormais sur la Canebière : plus kabyle que moi, tu meurs ! ♦
(1) Cf. Défense Nationale, juillet 1983. Le Radeau de Mahomet a été publié deux ans après que l’auteur ait été expulsé d’Égypte. Il contenait, sur la montée de l’islamisme, des réflexions prémonitoires.