Lors de la publication d'un de nos précédents articles, « La guerre introuvable » en avril 2002, nous écrivions en exergue : « Dans la guerre ouverte le 11 septembre 2001, si l'on mesure une victoire à l'objectif initialement fixé, celui-ci n'a de toute évidence pas été atteint. Reconnaissons que nous sommes entrés dans une pure représentation de la crise pour ne pas en voir les fondements, que les États-Unis recherchent la guerre pour la guerre, et que leur pouvoir réside fort logiquement non dans le fait de vaincre le plus rapidement possible, mais dans celui de faire étalage de leur puissance le plus longtemps possible ».
Deux ans après, il n'y a rien à revoir à ce jugement, sauf pour le compléter par le constat désormais unanime de faillite qui était pourtant absolument prévisible. Car comme nous le poursuivions à l'époque, cet « accident impérial » est bien plus que contingent, il est inscrit dans les racines les plus profondes de l'histoire américaine. La place de puissance dominante du XXIe siècle étant désormais vacante, comment l'Europe compte-t-elle s'y prendre pour l'occuper ? Et d'ailleurs, est-il souhaitable qu'elle le veuille ?
Vendredi 26 mars 2004 : la presse européenne publie en première page la photo du Premier ministre britannique, Tony Blair, serrant la main du nouvel ami des démocraties, le colonel Kadhafi ; encore il y a peu ennemi numéro un de l’Occident, l’homme qui a commandité les attentats de Lockerbie et du DC-10 d’UTA, les a publiquement revendiqués et contre lequel les États-Unis et la France ont mené de véritables opérations de guerre en 1985 et 1986. Et c’est un tabloïd anglais, The Sun, qui titre juste : « Peace in our tent », allusion claire à la satisfaction de Neville Chamberlain de retour de Munich : « Peace in our time ».
L’analogie semble facile, et pourtant elle n’est que la réponse du berger à la bergère : est-ce pour ce genre de poignée de mains que l’on mobilise les opinions et les énergies occidentales depuis bientôt trois ans ? « Quatrième guerre mondiale », « guerre des civilisations », « économie de guerre », dans cette quête frénétique du « troisième totalitarisme » qui tient trop souvent lieu de justification, les incantations ne sauraient remplacer une stratégie politique inexistante.
En deçà du bien et du mal
Une guerre, depuis que les nations s’y emploient, ce sont des batailles, des réfugiés et des milliers de morts ; c’est surtout une armée qui envahit un État ou qui est dissuadée de le faire. Où sont les Panzerdivisionnen que Ben Laden compte utiliser pour la reconstitution du Califat ? Si rien n’y ressemble, pourquoi affirmer avec tant de certitude que le monde est en guerre ? Il est prétendu que la nouvelle guerre ne ressemble pas à celles qui l’ont précédée parce que le danger aurait changé de nature, et que les identifiants classiques sont devenus caducs. On cherche à nous vendre le concept de guerre « post-moderne » comme on se force à découvrir une Amérique « post-impériale » dans ce qui n’est encore et toujours que de l’impérialisme ; mais de quand dater ce changement ? Le terrorisme utilise de vieilles armes, l’hypothèse d’un attentat de type Twin Towers est connue depuis que la France en a déjoué un à Noël 1994, et l’Europe mène depuis le début des années 80, avec un certain succès, une lutte résolue contre les réseaux terroristes. L’emphase récente des discours s’apparente donc davantage à une perception distordue voire idéologique des faits qu’à une réalité historique : « Tous les trente ans, selon que la mode fait donner plus d’attention à telle ou telle recette pour battre l’ennemi », écrivait déjà Stendhal dans ses Mémoires sur Napoléon, « les termes de guerre changent et le vulgaire croit avoir fait un progrès dans les idées quand il a changé les mots ».
En deçà du bien et du mal
Une rhétorique qui ne passe plus
Une pensée féodale
L’Amérique, nouvelle Prusse
Déficit de puissance
Mahan avait tort !
La faute de Monsieur Bush
American Souvenirs
L’Europe, pour quoi faire ?