L'indépendance des pays de la Baltique
On ne pouvait sans doute choisir sujet plus compliqué. Le sous-titre (1918-1920) est réducteur, car ce sont bien « sept ans de conflit » qui animèrent les rivages de la Baltique au cours et à la suite de la Grande Guerre. Rivalités internes, polémiques frontalières, ambitions personnelles et surtout interventions des Puissances, on ne saurait guère trouver l’équivalent que dans l’Italie des Guelfes et des Gibelins, ou aux Pays-Bas de la Renaissance.
Dire que les auteurs sont parvenus à tirer de cet embrouillamini un texte parfaitement clair et synthétique ne serait de notre part que vile flagornerie. L’impression est plutôt celle d’une juxtaposition de récits appuyés sur des cartes parfois peu lisibles, mais en tout cas extrêmement documentés puisqu’on y apprend même le nom du lieutenant commandant la batterie d’artillerie du 27e bataillon Jäger, le nombre de grenades à la disposition de la milice des Suojeluskaarti et le système de montage des mitrailleuses dans l’armée de Boudienni. Il serait pour autant injuste d’affirmer que le lecteur attentif ne perçoit pas dans ce jeu à une bonne dizaine de joueurs, les principales lignes de force : l’influence germanique soulignée, après les chevauchées de l’ordre teutonique, par l’éclatante revanche de Tannenberg, la présence des barons baltes ou les initiatives d’un von der Goltz n’en faisant qu’à sa tête ; les compétitions entre voisins munis d’embryons d’armée improvisés mais souvent efficaces (la progression estonienne en Livonie, le coup de force Polonais sur Vilno) ; les divergences de vues entre les Alliés, ici comme ailleurs, tandis que se déroulent les difficiles tractations conduisant au Traité de Versailles ; l’intransigeance des chefs russes blancs refusant de collaborer avec des nationalistes décidés à se séparer de l’Empire tsariste… Tant et si bien que les Bolcheviks, en principe seuls contre tous, conscients de leurs faiblesses et inquiets même un moment pour Petrograd, tirent leur épingle du jeu, et que l’Armée rouge n’est vraiment battue que devant Varsovie, avec un sérieux coup de main français.
Curieux petit livre qui nous a paru pécher un petit peu par la forme (l’Empire « empiété » de la Galicie ?). On y apprend certes beaucoup de choses. La biographie de Mannerheim est la bienvenue, l’accès presque clandestin de la Lituanie à l’indépendance est effectivement à noter, la marche générale vers des pouvoirs forts effaçant les aspirations démocratiques initiales est un phénomène important. Mais que viennent faire ici d’abondantes considérations, dépassant le niveau d’un rappel, sur le front occidental, Apollinaire, Cendrars et Proust à l’appui ? Bravo en tout cas pour la conclusion, succincte, éclairante, optimiste dans la mesure où elle pose que « les identités nationales survivent et renaissent périodiquement », pessimiste lorsqu’elle montre combien ces identités sont fragiles face aux appétits des grands voisins. ♦