Les erreurs stratégiques de la Première Guerre mondiale
L’ouvrage, organisé de manière chronologique, ne néglige pas les théâtres d’opérations orientaux, ni les aspects diplomatiques du conflit. Bernard Schnetzler s’efforce d’expliquer les raisons du blocage sur les champs de bataille et de l’ampleur des pertes sans précédent qui marquent chaque bataille.
L’aveuglement idéologique est sans doute la première raison. À côté du poids de l’héritage napoléonien, surtout en France, le dogme du « facteur moral » est particulièrement mis en cause (nombreuses citations du règlement de manœuvre d’infanterie). Regrettons, cependant, que l’auteur ne s’appuie sur le livre de George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme, qui aurait particulièrement conforté et enrichi ses arguments. D’une manière générale, il souligne que les enseignements des différents conflits de la deuxième moitié du XIXe siècle n’ont pas été tirés alors que de nouveaux problèmes apparaissent. Ainsi, l’inadaptation des procédés tactiques aux armements modernes. La puissance de feu, permise par l’apparition d’arme à canon rayé et à chargement par la culasse, ne laisse guère d’espoir à une charge d’infanterie menée en terrain découvert par une troupe organisée en rangs serrés sur un ordre profond, surtout lorsque le défenseur dispose de mitrailleuses. D’une certaine manière, Joffre, Foche et French manœuvrent leurs armées comme on le faisait un siècle plus tôt.
Tout au long du conflit, la supériorité de la défensive sur l’offensive n’a pas été perçue par les belligérants. En effet, au-delà de la puissance de feu déjà citée, la supériorité de la défensive réside dans le grand différentiel entre la mobilité tactique sur le champ de bataille dévasté et la mobilité stratégique assurée par les automobiles et les voies ferrées ; différentiel qui offre un grand avantage au défenseur, toujours en mesure de combler la brèche occasionnée par une percée victorieuse avant que l’attaquant n’ait pu mobiliser suffisamment de troupes pour exploiter sa percée. C’est seulement à la fin de 1918 que l’accroissement de la puissance de feu des assaillants, équipés de fusils-mitrailleurs en plus grand nombre et dotés de chars, et l’élaboration d’attaques fondées sur un dispositif structuré en profondeur, modifient le rapport de force entre la défensive et l’offensive au bénéfice de cette dernière et assurent par la même occasion le retour à la guerre de mouvement.
L’Allemagne a commis l’erreur de s’attaquer simultanément à plusieurs adversaires au lieu de les défaire les uns après les autres, en commençant par le plus faible, la Russie, dont elle s’est contentée d’attendre l’effondrement plutôt que d’avoir tenté de le hâter. Le peu d’intérêt accordé par l’Allemagne aux théâtres d’opérations secondaires, qui fixent de nombreuses divisions ennemies, est également mis en exergue. En effet, dans les Balkans, deux divisions allemandes fixèrent quatorze divisions françaises. Regrettons là que Bernard Schnetzler ne cite pas les intéressantes réflexions de l’amiral Castex sur ce sujet.
Quant aux erreurs des Alliés franco-britanniques, la principale est d’avoir adopté une stratégie offensive qui fait le jeu de l’ennemi alors que la France avait intérêt à retarder le plus longtemps possible la bataille. D’autant plus que la situation stratégique n’impose pas de remporter une victoire rapide : assurés de leur supériorité économique, les Alliés peuvent espérer que le blocus entraînera inévitablement l’effondrement des puissances centrales.
En ce qui concerne la guerre sous-marine, Bernard Schnetzler insiste sur le caractère fallacieux du calcul sur lequel repose la décision allemande ; six mois suffisent pour mettre l’Angleterre à genoux. En vérité, dix-huit mois étaient nécessaires. Alors que cette décision provoquera l’intervention américaine avec les conséquences que l’on sait. ♦