La guerre des Six Jours
Préfacé par l’amiral Lacoste, le récit se veut « précis, objectif et sans concessions ». Il n’en est pas moins impressionnant. Du côté israélien à vrai dire, la clarté de la décision et la vigueur de l’exécution n’ont pas besoin d’être soulignées par des superlatifs. On avait eu la guerre de Cent Ans et celle de Trente Ans, voici celle des Six Jours dans toute son intensité.
L’« engrenage » de départ rappelle la situation de l’été 1914 par la volonté générale d’en découdre et l’accumulation des incidents et provocations. Le rapport de forces initial est défavorable à Israël, mais l’État hébreu va compenser « son infériorité numérique par son avantage qualitatif », notamment en matière de disponibilité, d’entraînement et de motivation. « Tsahal est un bistouri aiguisé manié par une main nerveuse et souple » et la position centrale autorise des changements d’orientation rapides. Dès le départ, le rythme est étourdissant. Avec 3 279 sorties opérationnelles, entre lesquelles le ravitaillement vaut celui des véhicules « de grand prix de Formule 1 », la campagne aérienne est devenue un « cas d’école ». À terre, des forces adverses « éparpillées » et dépourvues de commandement unique sont balayées par des formations blindées jusqu’à épuisement des réservoirs et des coffres. Le monde éberlué ne peut trouver comme modèle que la Blitzkrieg du printemps 1940. Par un curieux retournement de l’Histoire, la comparaison qui s’impose à propos d’Yitzhak Rabin ou d’Ariel Sharon (« Arik le terrible ») évoque Guderian ou Rommel. Quelle métamorphose de Shylock !
Si le déroulement général des opérations est encore présent dans l’esprit des contemporains, l’ouvrage détaille celles-ci avec une grande minutie, appuyée sur des cartes précises utilisant les symboles d’unités familiers aux militaires, mais malheureusement en noir et blanc, donc pas toujours très lisibles. Dans le texte et dans les annexes figurent jusqu’aux noms des pilotes (les Mirages III ont fait merveille !) et des commandants de brigade, ainsi que la composition interne des grandes unités des deux côtés. On se demande seulement pourquoi l’artillerie est toujours qualifiée de « lourde », comme les mitrailleuses sous la plume des journalistes.
L’apport du livre va au-delà, en rappelant (révélant ?) que toute l’affaire tournait autour d’un enjeu central, le complexe de Dimona et par conséquent l’accès d’Israël au nucléaire. On y indique également que l’unanimité était loin de régner parmi le personnel politique israélien. Évitant le manichéisme, Pierre Razoux reconnaît la « réelle combativité et l’authentique courage » de certains combattants arabes, que ce soit dans le Sinaï, à Jérusalem ou dans le Golan (qui ne fut pas une simple « promenade militaire »), équilibrant ainsi les épisodes de fuite éperdue tant mis en avant à l’époque. Il apparaît par ailleurs que l’idylle avec la France de la IVe République était bel et bien terminée, malgré le maintien de « liens personnels », tandis que le drame obscur, voire incompréhensible, de l’attaque de l’USS Liberty marque, entre Israël et les États-Unis, soit une bonne dose d’incompréhension, soit l’effet d’une monstrueuse complicité.
La guerre des Six Jours n’est évidemment pas un événement isolé ni localisé. Elle s’inscrit dans la « logique des blocs » et l’ambiance de guerre froide. Sur le coup, le résultat est sans appel. Il entérine la fin du « rêve utopique coupé de toute réalité » de nombreux dirigeants arabes. En 132 heures, Israël a quadruplé la superficie de son territoire. La menace sur Dimona est écartée et « tout le reste est bonus ». Les opinions publiques occidentales sont dans l’ensemble favorables et pas mécontentes d’une revanche sur l’humiliante affaire de Suez. Mais les pertes israéliennes sont loin d’être négligeables et le risque d’« isolement sur la scène internationale » grandit. Notre auteur de philosopher alors en se livrant à une longue énumération de redoutables conséquences sous le titre révélateur « Les germes de guerres futures », et en terminant sur un apologue d’allure très littéraire tranchant sur les exposés stricts qui précèdent.
Alors, la guerre des Six Jours, avec un recul de près de quarante ans, tout ça pour rien, si aucune solution de fond n’est intervenue au Proche-Orient jusqu’à présent ? ♦