Otage d'Amirouche
Otage ? Le terme n’est peut-être pas des plus appropriés dans la mesure où le dictionnaire nous enseigne qu’il suppose une garantie ou un marchandage, ce qui n’est pas le cas ici. Le héros n’est pas non plus prisonnier (de guerre, puisque guerre il y eut). Le jeune Rouby âgé de dix-huit ans en 1958, et donc encore mineur à l’époque, a obtenu la permission paternelle d’aller enseigner en Kabylie, il est tout ce qu’il y a de plus civil, et il est simplement enlevé dans son école par les fellaghas sans autre raison que d’être instituteur (comme son collègue Monnerot quatre ans auparavant) et français. En compagnie d’une poignée d’autres infortunés, il passe 144 jours dans une sorte de petit camp de concentration mobile ; les déplacements, éprouvants, étant nécessités par la fuite des ravisseurs et de leurs proies devant les opérations des troupes françaises, notamment lors des efficaces applications du plan Challe. Il est enfin libéré grâce à l’action conjuguée de la Croix-Rouge et de la bienveillance du FLN.
Enchaîné, battu, affamé, mains liées même pour aller aux latrines, dévoré par les poux, disposant d’une unique boîte de conserve servant de gamelle et tous autres usages, livré à des gardiens tantôt humains, tantôt sadiques, il est détenu au sein de la Wilaya 3 commandée par le cruel Amirouche, expert en égorgements, « boucher de l’Akfadou », lui-même flanqué d’un bourreau ayant fait ses classes chez les SS. On peut à ce sujet recommander la lecture du chapitre 3 aux bonnes âmes prêtes à s’enflammer pour tant de causes. Notre homme va perdre plusieurs compagnons, dont le doyen du groupe âgé de soixante-deux ans et son cher camarade Joël, morts d’épuisement au cours d’une nuit tragique de mars 1959.
Le récit, sobre, découpé en quatorze courts chapitres et complété par des annexes, est une réédition. Il se veut un « témoignage sincère sans esprit de haine ou de rancune », bien que l’auteur ne soit pas « revenu intact de cette dramatique aventure », les dents déchaussées par le scorbut et le corps marqué de façon indélébile par les cicatrices laissées par les coups et les chaînes. Un sourire légèrement amer vient aux lèvres à la lecture des commentaires de presse : l’Auvergnat de Paris, Lozère nouvelle, le Progrès Saint-Africain… (Rouby est originaire des environs de Marvejols). Les grands titres nationaux sont absents ; il existe sans doute des sujets plus vendeurs et plus à la mode en matière de torture et de droits de l’homme… ♦