Allocution de M. l'Ambassadeur Howard H. Leach, le jeudi 9 décembre 2004, dans l'amphithéâtre Lacoste à l'École militaire.
Les relations transatlantiques après les élections américaines
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Je souhaiterais, aujourd’hui, vous faire partager mes idées sur la politique étrangère des États-Unis et la tournure qu’elle devrait prendre au cours du second mandat du président Bush.
Les dernières élections aux États-Unis ont constitué une grande démonstration de force pour la démocratie. Cent vingt millions de personnes ont voté, et nous avons eu connaissance des résultats en quelques heures, sans avoir besoin de recourir à une armée d’avocats pour départager les deux candidats ; et la nation s’est remise au travail.
Politique étrangère…
Le président Bush entame donc son second mandat avec le soutien d’une majorité d’Américains et avec des majorités consolidées dans les deux chambres du Congrès. Le Président poursuivra son approche active de la politique étrangère, comme il l’a fait durant son premier mandat. Notre politique étrangère continuera d’être fondée sur certaines valeurs fondamentales. Celles-ci incluent un engagement ferme dans la défense de la nation, de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme, de l’état de droit et du libre-échange basé sur l’ouverture des marchés. Nous partageons beaucoup de ces valeurs avec nos alliés.
Condoleeza Rice deviendra bientôt secrétaire d’État. Sa nomination signifie que la coordination des politiques entre le Département d’État et la Maison-Blanche sera excellente, parce que son entente avec le président Bush est exceptionnellement bonne. Ayant dirigé le Conseil de sécurité nationale (NSC), elle connaît intimement comment se fait la politique étrangère et la coordination entre la Maison-Blanche et l’Administration. De même, la nomination de son ancien adjoint, Stephen Hadley, au poste de Conseiller pour la sécurité nationale va favoriser la coordination entre le Département d’État et le NSC.
Ces deux nominations augurent bien de la politique étrangère pour le deuxième mandat.
…et guerre contre le terrorisme
La guerre contre le terrorisme continuera à être la grande priorité de la nouvelle Administration. Nous continuerons à soutenir le gouvernement intérimaire de l’Irak afin d’assurer la stabilité et la sécurité au peuple irakien, ainsi que le succès de l’élection de l’Assemblée nationale du 30 janvier 2005. Aujourd’hui, le niveau de stabilité de quinze des dix-huit provinces irakiennes permet la bonne conduite d’élections dans le pays ; niveau que les trois autres (20 % de la population) n’ont pas encore atteint, mais tous les efforts sont faits pour y parvenir.
Dans la perspective plus large de la guerre contre le terrorisme, nous continuerons à mettre l’accent sur nos capacités de réponse à une attaque terroriste, sur la localisation et la neutralisation des terroristes recherchés et de leurs partisans, sur le gel de leurs ressources financières, ainsi que sur la promotion à long terme de la démocratie et l’aide au développement des nations dans le monde. Nous avons déjà obtenu des résultats significatifs dans la guerre contre le terrorisme.
Afghanistan
La coalition qui est intervenue en Afghanistan a privé Al-Qaïda de son pré carré. Elle a renversé le régime des taliban qui nourrissait et soutenait le terrorisme et déniait au peuple afghan une vie normale. Aux côtés des alliés, les forces françaises contribuent à l’effort de guerre : des unités de la coalition sont à présent sous commandement militaire français dans le cadre de l’Eurocorps. Ainsi, l’Afghanistan a pu organiser des élections avec succès, dont le président Karzaï est sorti vainqueur, ce qui va permettre de renforcer la lutte contre la production d’opium et de narcotrafics ; lutte à laquelle les États-Unis apportent leur soutien à l’échelle internationale.
Ce sont des pas importants dans la construction de la démocratie et de l’état de droit dans un pays où ces concepts n’existaient pas.
Il est utile de rappeler que, si de nombreux problèmes restent encore à résoudre en Afghanistan et en Irak, 53 millions de personnes disposent maintenant d’une liberté qu’ils n’avaient pas auparavant. Nous pouvons aimer ou pas la façon dont ils en usent, mais c’est leur liberté.
Irak
Consolider la stabilité et le processus de démocratisation en Irak est un défi important, que le gouvernement intérimaire entend bien relever avec succès. Un régime brutal, criminel et dangereux a été renversé et les Irakiens ont la possibilité, pour la première fois, de vivre libres et en démocratie. N’oublions pas que Saddam Hussein ne constituait pas seulement une menace pour son peuple, mais aussi pour l’ensemble de la région et même au-delà. Le processus de décision, au sein de l’Otan, requiert l’unanimité ; cela n’a pas empêché ses membres de s’engager à participer à la formation des forces de sécurité irakiennes.
Le second point positif concernant l’Irak est la décision prise récemment par les membres du Club de Paris de supprimer 80 % de la dette, héritée du régime de Saddam Hussein. Cette suppression contribuera de manière importante à la stabilité financière de l’État irakien.
Les déclarations de M. Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, à Sharm al-Sheikh lors de la conférence internationale sur l’Irak, constituent une troisième source d’encouragement pour nous. Il a montré sa volonté de regarder vers l’avenir plutôt que de s’attarder sur les désaccords passés à propos de l’Irak, affirmant notamment : « Chacun connaît les vues des pays représentés autour de cette table sur les circonstances qui ont conduit à la situation dont nous débattons. C’est aujourd’hui vers l’avenir que nous devons nous tourner. La France, au sein de l’Union européenne, y est prête. Mettre fin à l’instabilité en Irak, qui est aussi notre propre instabilité, est un devoir collectif… ». Nous espérons que les déclarations de M. Barnier indiquent une volonté de la part de la France de s’engager activement dans la reconstruction de l’Irak et l’établissement d’une société irakienne qui soit démocratique et stable. Il est évident qu’un Irak stable, prospère, indépendant va dans le sens de nos intérêts à tous.
Les déclarations de M. Barnier nous encouragent également à penser que nous avons dépassé le débat quant à savoir si l’intervention militaire était appropriée ou non. Comme vous le savez, les États-Unis et la France ont eu des désaccords profonds concernant la politique à mener à l’égard de l’Irak, ce qui a produit des tensions entre nous. Je suis d’accord avec M. Barnier pour dire que nous avons dorénavant dépassé notre désaccord sur l’intervention militaire en Irak, désaccord qui contrariait les relations entre nos deux pays.
Proche-Orient
Une autre priorité de la politique étrangère du président Bush est la recherche de la paix au Proche-Orient. L’élection du successeur de M. Yasser Arafat, le 9 janvier 2005, devrait fournir à la paix une autre chance d’émerger. Comme l’a souligné le secrétaire d’État Colin Powell lors de sa dernière visite au Proche-Orient, le président Bush reste attaché à la création d’un État palestinien et à la mise en œuvre de la feuille de route.
L’actuel remaniement ministériel du gouvernement israélien pourrait également contribuer à renforcer nos chances de déboucher sur la paix. D’après certains, M. Ariel Sharon tenterait actuellement de faire rentrer les travaillistes dans son gouvernement, et notamment M. Shimon Perez, plus enclin au compromis que M. Sharon.
Partenariats transatlantiques
France
Les relations entre la France et les États-Unis existent depuis plus de 228 années. Nous aimons à envisager nos relations comme un partenariat. Les partenaires partagent en général les mêmes valeurs fondamentales et tendent vers le même objectif, même s’ils ne sont pas nécessairement d’accord sur chaque question. En revanche, nous n’envisageons pas les relations entre les nations en termes de « pôles ». Dans le monde d’aujourd’hui, une coopération efficace entre les nations doit s’effectuer dans des domaines où elles partagent des intérêts communs.
Dans le cas de la France et des États-Unis, l’un des meilleurs exemples d’une coopération bénéficiant aux deux partenaires est certainement la coordination militaire entre nos deux forces armées. Certes, la coopération politique est plus difficile et entraîne fréquemment des tensions entre nos deux pays. Il n’en demeure pas moins qu’ils coopèrent et travaillent main dans la main plus souvent qu’ils ne s’opposent. Les déclarations de M. Barnier reflètent cette même conviction.
Europe
En entamant son second mandat, le président Bush a tendu la main à l’Europe. Lors de la première conférence de presse qui faisait suite à sa réélection, il a dit qu’il voulait se rendre en Europe sitôt après son investiture. Dans un discours de politique étrangère prononcé au Canada il y a quelques jours, il a dit que « la coopération internationale serait une des grandes priorités de son Administration », marquée par « trois objectifs : construire des institutions internationales multinationales et multilatérales qui soient efficaces et soutenir les actions multilatérales ; combattre le terrorisme ; promouvoir la démocratie ».
Il est temps pour l’Europe de répondre positivement à la main tendue par le président Bush et de consolider le partenariat et les intérêts communs qui unissent les États-Unis et l’Europe. Le président Bush viendra en Europe pour améliorer et renforcer l’alliance transatlantique et se concentrer sur les défis communs auxquels nous faisons face.
Coopération mondiale
Le président Bush continuera à appuyer la coopération entre les pays membres du G8 et ceux du Grand Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Le G8 et les pays de la région vont disposer de la possibilité de construire une coopération grâce au Forum pour le Futur, qui tiendra sa première réunion au Maroc le 11 décembre.
Des efforts constants en vue de combattre le terrorisme sous toutes ses formes et de consolider la paix seront accompagnés d’actions concertées visant à lutter contre la prolifération de toutes sortes d’armes de destruction massive. De concert avec la communauté internationale, ces efforts et ces actions seront dirigés vers le contrôle des missiles et des armes chimiques, nucléaires et biologiques. Aux côtés du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine et de la Russie, nous tentons de résoudre les problèmes liés à la Corée du Nord. Nous sommes également très préoccupés par l’Iran et nous espérons que l’accord obtenu par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, conjointement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, débouchera sur des résultats significatifs.
L’Otan
Les relations transatlantiques sur le thème de la sécurité demeurent un point clef de la stabilité globale. Le monde a changé, et nous croyons que l’Otan peut et devrait jouer un rôle plus important dans les affaires du monde, notamment en matière de sécurité.
L’Otan reste le seul forum au sein duquel les États-Unis et nos alliés européens peuvent travailler de concert sur les problèmes urgents de sécurité qui caractérisent le monde d’aujourd’hui.
L’Otan permet aussi aux membres de l’Alliance de travailler avec la Russie, l’Ukraine et nos amis en Asie centrale et dans le Caucase afin de promouvoir la paix et la sécurité. En outre, les sept nouveaux membres qui ont rejoint l’Otan en 2004 permettent à celle-ci d’étendre sa sphère d’influence vers l’Est et, dans le même temps, aident à la consolidation de la démocratisation et de l’état de droit en Europe centrale.
L’importance de l’Otan pour les États-Unis a été confirmée par la rencontre entre le président Bush et le secrétaire général de l’Organisation, Jaap de Hoop Scheffer. Une de nos priorités est donc de poursuivre son processus de transformation en une alliance militaire plus souple, capable de répondre aux attaques du terrorisme global. Nous avons déjà effectué des progrès significatifs en modernisant sa structure de commandement qui est maintenant plus flexible et plus légère.
Le nouveau commandement de l’Alliance Transformation à Norfolk offre aux Européens la chance d’apprendre rapidement les changements technologiques et l’évolution de la doctrine de défense américaine.
Les Alliés ont approuvé l’expansion des capacités qui permettront de répondre aux missions hors d’Europe. La nouvelle force de réaction de l’Otan (NRF) offre à l’Alliance la capacité de déployer des troupes rapidement pour remplir les missions de récupération d’otages, d’assistance humanitaire ou de réponse à une attaque terroriste, à l’échelle mondiale.
L’Otan est en train de devenir un organe plus utile pour faire face aux enjeux sécuritaires du monde d’aujourd’hui. Je pense que nous pouvons faire plus pour augmenter son potentiel militaire afin que nous puissions continuer à améliorer la rapidité, la mobilité et la capacité de projection des forces de l’Alliance ; conformément aux objectifs définis au Sommet de Prague en 2002.
Dépenses militaires
Bien sûr, la modernisation de nos capacités de défense implique des coûts financiers, mais garantir la sécurité à notre nation est peut-être le devoir le plus important qui incombe à un État. Les États-Unis consacrent cette année plus de 400 milliards de dollars au budget de la défense, soit plus du double des budgets cumulés de nos vingt-cinq alliés de l’Otan.
Ces dernières années, l’augmentation des dépenses de la France en matière de défense, en conformité avec la programmation du budget militaire pour la période 2003-2008, constitue un encouragement pour nous. L’engagement actuellement à l’étude pour les dépenses en matière de défense prévoit 33 milliards d’euros pour 2005.
Les États-Unis soutiennent plusieurs objectifs auxquels l’Otan est partie prenante. C’est le prix que le peuple américain est prêt à payer pour aider à rendre le monde plus sûr : renforcer les forces de maintien de la paix de l’Otan en Afghanistan, au sein desquelles les forces françaises jouent aujourd’hui un rôle important ; examiner l’implication de l’Otan en Irak, où nous avons déjà constaté des progrès à la suite de la décision de l’Alliance d’aider à la formation des forces de sécurité irakiennes ; favoriser la définition des relations entre l’Otan et l’Union européenne afin de permettre une coopération et une efficacité maximum ; renforcer les relations de l’Otan avec la Russie.
Relations bilatérales
Comme je l’ai dit plus haut, j’espère que les désaccords entre les États-Unis et la France concernant l’affaire irakienne ne constitueront pas l’angle d’approche privilégié pour évaluer l’état des relations franco-américaines. La question irakienne a jeté un voile sur les nombreux dossiers où les États-Unis et la France coopèrent très étroitement. Cela inclut l’Afghanistan, où la France a contribué de manière significative aux efforts de la coalition, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, et a dirigé des forces de la coalition au sein de l’Eurocorps. La France est également impliquée en Haïti, dans les Balkans — où l’armée française joue un rôle prépondérant dans le commandement de la Sfor au Kosovo — en Côte d’Ivoire et partout en Afrique, sans oublier la coordination de nos actions diplomatiques concernant l’Iran, la Corée du Nord et le Soudan.
La coopération entre les États-Unis et la France se révèle excellente en matière de partage de l’information et du renseignement, des problèmes liés à l’application des lois antiterrorisme et à la sécurisation des transports, ainsi qu’au crime international et au trafic de narcotiques, qui sont souvent étroitement liés à la finance du terrorisme. Les armées américaines et françaises travaillent ensemble de manière efficace dans tous ces domaines, y compris, comme je l’ai dit, en Afghanistan et au Kosovo, où, dans les deux cas, l’armée française est maintenant impliquée dans des opérations de commandement multilatéral.
Continuité
La politique de président Bush continuera à être fondée sur les mêmes valeurs qui ont dessiné la politique étrangère américaine, c’est-à-dire la capacité de se défendre, la liberté, la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et le développement du libre-échange. Ces valeurs, nous les partageons avec nombre de nos alliés, amis et partenaires à travers le monde, et elles constituent le socle sur lequel doit être consolidée une coopération constructive dans le but de réaliser nos intérêts communs.
Propos recueillis et traduits par Philippe Boulanger