L'essor aérien du Canada
Le 23 février 1909, il y a foule sur le territoire de Baddeck, presqu’île du Cap Breton ; foule enthousiaste, anxieuse, sceptique ou choquée de tant d’audace : un homme va s’élever dans l’air à bord d’un grand oiseau de bois et de toile, le Trait d’Argent, Silver Dart. Il s’enlève, mais il ne va pas bien loin. Premier coup d’aile de l’aviation canadienne. Ou plutôt exactement le second. Une quinzaine de mois plus tôt, avait tenté de prendre son vol dans une sorte de cerf-volant, le Cygnet, Alexander Graham Bell, plus connu par l’invention du téléphone : son laboratoire d’aérodynamique va désormais poursuivre les recherches. L’impulsion décisive leur est donnée par la guerre de 1914. Le maréchal Bishop le rappelait naguère, non sans fierté, dans son livre « la Paix ailée ». Les hostilités terminées, ceux qui, comme lui, venaient d’y faire leur apprentissage, eurent peine à se détacher d’un si beau métier ; sans y être aidés ni même encouragés par les pouvoirs publics, ils se lancèrent, pour leur propre compte et par leurs seuls moyens, dans des aventures variées.
Le 17 octobre 1919, le capitaine Ernest Hay franchit les Montagnes Rocheuses, couvrant en seize heures quarante-cinq la distance de Lethbridge à Vancouver. Sur de vieux « zincs » rafistolés tant bien que mal, de hardis pionniers se mettent à explorer les immenses espaces des territoires septentrionaux. En 1920, une compagnie pétrolière frète trois monoplans pour assurer des communications rapides entre la tête de rail et ses puits de la vallée du Mackenzie, proches du cercle arctique. Une panne de moteur, un train d’atterrissage brisé font abandonner l’entreprise. Trois ans plus tard, découverte d’or et de cuivre dans une région aujourd’hui desservie par deux lignes de chemin de fer, mais que près de 100 lieues de forêts et de marécages séparaient alors du centre de civilisation le plus voisin. Un service aérien s’offre à transporter prospecteurs, géologues, ingénieurs, courrier ; succès tel que le gouvernement passe aussitôt contrat pour faire tenir chaque année aux tribus sauvages de la Baie d’Hudson l’argent qui leur est garanti par traité : circuit de plus de 1.500 kilomètres qui s’accomplit encore à ce jour.
En 1925, deux aviateurs partis de Prince Rupert, Colombie britannique, reconnaissent la côte jusqu’à Wrangel, survolent la chaîne côtière, remontent la vallée de la Stikine encore prise par les glaces, attendent la débâcle, démontent les roues de leur amphibie. Pays criblé de lacs et de cours d’eau où ils font la preuve qu’on peut toujours se poser, sur flotteurs en été, sur skis en hiver, sans coûteux aménagements d’aérodromes. En même temps, ils ont été les premiers au monde à pratiquer la prospection aérienne, qui va prendre une immense extension. Et voici que, dans cet extrême nord canadien, comme en Sibérie, des villes vont naître, plongées la moitié de l’année dans la nuit arctique et vivant à la lumière artificielle, mais où ne manque pas une des formes du confort le plus moderne. L’avion leur apporte machines, main-d’œuvre, bétail, fleurs et produits de la zone tempérée ; il remporte l’or, l’argent, le cuivre, le radium de leurs mines, leurs fourrures aussi qui se vendent sur les marchés du Sud.
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