Dakar 1940
« Bataille fratricide » : un beau gâchis et des pertes non négligeables des deux côtés, le tout dû à des erreurs flagrantes d’appréciation de la part des anglo-gaullistes et à la fermeté du personnage de Boisson, dépourvu d’« états d’âme » et dont on peut même se demander ce qu’il serait advenu s’il était resté à la tête de l’AEF. Voilà ce qui ressort du récit détaillé de ces trois journées des 23, 24 et 25 septembre 1940, qui auraient pu tourner autrement quelques semaines plus tôt, car il s’est produit entre-temps « le coup de chien » de Mers el-Kebir et une reprise en main vigoureuse par Vichy, qu’ont rallié Noguès et nombre de marins et de coloniaux.
À défaut d’Alger ou de Casablanca, de Gaulle souhaite évidemment, pour asseoir son début de légitimité, disposer, à côté de la partie de l’Afrique équatoriale déjà acquise, d’une autre base territoriale que Pondichéry ou les Nouvelles Hébrides. Churchill, toujours entêté, le soutient, et Spears, habile à « arrondir les angles », l’accompagne ; mais on a compté sans la détermination des défenseurs, placés dans une « situation psychologiquement pénible, mais intellectuellement simple » et disposant de moyens limités et souvent désuets, mais tout de même respectables ; les complicités civiles et militaires espérées font défaut ; la propagande est gaffeuse et parfois mensongère (par exemple sur la présence d’Allemands dans la place) ; le renseignement est vague et ancien alors que les indiscrétions pullulent, si bien que l’effet de surprise fait chou blanc ; le capitaine Brouillard remplace le général Hiver ; les techniques de débarquement ne sont pas encore au point ; l’unité de commandement n’est pas réalisée…
Et pour tout dire, si au sommet, la perspective d’une véritable guerre anglovichyste se dessine, les acteurs sur le terrain y répugnent au fond d’eux-mêmes. On relève sur chaque bord des maladresses quelque peu programmées entre deux expéditions rocambolesques, des batteries qui tirent de travers, des bateaux qui « had no intention of finding », des contre-ordres hâtifs… In fine, l’échec de l’entreprise est patent et il va falloir au plus vite, face à « Vichy sauvé par Dakar », se « sauver par l’AEF » et la rancœur subsistera longtemps.
Sur des sujets de ce genre, nos auteurs sont des récidivistes de bonne réputation. On ne saurait dans le cas présent leur reprocher de trop privilégier l’aspect maritime qui est effectivement prépondérant. Ils font fort bien apparaître dans cette équipée sénégalaise l’« exemple frappant de mauvaise préparation, de pusillanimité et de désordre » (mea culpa de Churchill en personne), cette hésitation entre « la séduction, la sédition et l’intimidation ». Sur un épisode célèbre, mais dont on ignore souvent le déroulement, ils livrent par cet ouvrage qualifié trop modestement de « rapport d’étape » (sous prétexte de la persistance d’une « importante zone d’ombre ») des précisions qui devraient permettre dorénavant de considérer sereinement cette pénible affaire. ♦