Lieutenant de Panzers
« J’avais cinq ans quand je dus retirer, dans ma Rhénanie natale, ma casquette devant le drapeau tricolore. Onze ans, lorsque Hitler prit le pouvoir. Quatorze, quand les soldats allemands revinrent sur notre rive gauche du Rhin. Dix-sept, lorsque j’entrais au régiment de cavalerie de Bamberg. Dix-huit quand je pénétrai en Russie comme lieutenant de Panzers. Vingt-trois lorsque la guerre me recracha sur le sol de la paisible ferme de mon père, dans l’Eifel ». Ainsi parle ce lieutenant de Panzers, ainsi raconte-il sa vie, récit intime et lucide, vécu de l’intérieur, un adolescent placé aux avant-postes de l’histoire, relatant sans concession sa vie.
Il a choisi son camp. Humilié par un traité, traumatisé par la crise, son camp était celui de la revanche. Pour cet héritier de la vieille noblesse allemande, conditionné par l’éducation familiale, celle de son entourage et de la société, il ira de l’ivresse de la victoire à l’humiliation de la défaite, fier d’être le fer de lance de cette armée des temps modernes.
Sous le regard de fierté de ses parents, il portera successivement les différends uniformes du parti, écoutera cet agitateur aux paroles violentes et simplistes surgi du néant parler d’ordre nouveau. Aujourd’hui l’Allemagne, demain la terre entière…
Son régiment occupera la France, l’Autriche. Guidé par l’orgueil, la curiosité et l’excitation d’être un guerrier, ce n’est que plus tard dans la boue et le froid du front de l’Est qu’il connaîtra la morsure du froid, l’étau des Russes et les limites de la résistance humaine face aux attaques des Ivan et de leurs redoutables T34… et puis le doute.
Petit à petit, la folie contagieuse et dévastatrice du national-socialisme lui apparaît comme une contrainte insupportable. Il a vu son père pleurer.
Le rejet du comportement criminel évident de certaines unités, la méfiance et la délation envers les gens de sa classe appelés les « aristo » le marque durablement et le rendront suspect ainsi que quelques chefs courageux aux yeux des gens du parti. Alors il faut composer, rentrer dans le rang, attendre la fin de l’orage.
Ce récit est celui de la fin d’un monde, de la montée d’une dictature, d’un peuple qui après avoir hurlé du plaisir de la revanche a hurlé de la douleur de son réveil. C’est aussi celui d’une jeunesse abusée, d’une classe, de ceux bien nés qui se devaient de partir les premiers à l’attaque, se devaient de mourir les premiers, ceux qui arboraient la tête de mort comme un panache, comme un défit à la mort, non pas celle que l’on donne mais celle que l’on reçoit.
Alors le lieutenant de cavalerie August von Kageneck, de la classe 22, celle qui a le plus saigné nous parle d’un baroud d’honneur, mais pour quel honneur ? ♦