Le désir d'Islam
Le désir d’islam (1) dont va nous parler, en un petit livre délicieux, Martine Gozlan, c’est celui qui saisit aux tripes, depuis que l’orientalisme existe et jus qu’à maintenant, nombre d’Occidentaux. L’auteur, qui a déjà publié trois livres sur l’islam, parle d’expérience. Qui sont les séduits ? Des orientalistes, tels Louis Massignon ou Vincent Monteil ; des écrivains, philosophes ou poètes, Goethe au premier rang mais aussi Gérard de Nerval, Flaubert, Rimbaud, Gide ; des artistes, Delacroix, Fromentin, Dinet ; des chrétiens retournés, Isabelle Eberhardt, René Guénon, Roger Garaudy ; des explorateurs, Richard Burton succombant, comme Lawrence après lui, aux charmes du déguisement.
Qu’est-ce qui fait courir vers l’Orient musulman ces hommes illustres et leurs émules anonymes ? D’abord la reposante certitude. Juifs et chrétiens sont toujours en quête, « ils demandent des comptes à Dieu ». Ici, c’est l’exact opposé : « Voici le Livre ! Il ne renferme aucun doute ». Plus de doute, plus d’angoisse.
Le puritanisme musulman n’est pas non plus celui des chrétiens. « Le plaisir et la foi s’y enlacent ». L’érotisme est réglementé, il est aussi sanctifié. L’Occidental en goguette islamique se voit réconcilié avec la chair. La réconciliation va loin et l’homosexualité, contournant le règlement général, lui rend aussi hommage. Plusieurs des nôtres y seront sensibles, de Massignon à Monteil, de Gide à Jean Genet.
Mais la vraie puissance de séduction de l’islam est ailleurs : se faire musulman, c’est rejoindre l’Umma, la communauté mère. Le nouveau croyant ne sera plus jamais seul. En islam, « on n’est plus encombré de soi ». Pesante pour certains, comme Lawrence d’Arabie, cette fraternité dans la foi en comble d’autres et Isabelle Eberhardt se réjouit d’échapper à « l’effroyable solitude de l’incrédulité ».
Le désir d’islam se nourrit aussi de négativité. Chez René Guénon « la détestation de l’Occident » est portée à l’extrême. Comme lui, les déçus de l’humanisme ne supportent plus « le gouffre noir des Lumières » et la « terrifiante liberté » qui s’y cache. Tous trouvent dans l’islam leur refuge : « Une paix tiède les fait glisser dans le sommeil ». Les plus combatifs d’entre eux ne dorment pourtant que d’un œil. Garaudy et Monteil soutiennent les thèses négationnistes des militants du jihad. Ils vilipendent les modernistes, coupables de trahir le pur message du Prophète.
Martine Gozlan, tentée elle-même par le désir d’islam, n’y a pas succombé. Elle le juge redoutable et propose deux voies pour y résister : la laïcité, la libération des femmes. C’est une conclusion un peu courte. À tout prendre, on lui préférera celle de… Nicolas Sarkozy, que l’auteur cite longuement. C’est que le passage de notre « Sarko » au ministère de l’Intérieur l’a rapproché des musulmans et que son flirt avec l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) l’a rendu suspect. Il s’en est expliqué dans un livre qui est un éloge de la spiritualité, chrétienne en ce qui le concerne (2). C’est qu’en effet notre République, laïque comme l’on sait, « n’a rien à offrir d’essentiel, elle ignore le bien et le mal ». Pour un peu, elle fait le lit du désir d’islam. ♦
(1) L’auteur a pris le parti d’écrire constamment Islam avec une capitale. Ce n’est pas le nôtre.
(2) La République, les religions, l’espérance ; Le Cerf, 2004.