Vladimir Poutine et l'Eurasie
Vladimir Poutine et l'Eurasie
Rendre compte du contenu de ce gros volume, découpé en 28 chapitres aux titres parfois mystérieux, relève presque de la mission impossible si l’on veut éviter, en présence d’un étrange foisonnement d’idées, de raisonnements pas toujours cartésiens, d’un style manquant singulièrement de légèreté, de l’emploi d’un vocabulaire fréquemment surprenant (l’obstaculisation !)… de trahir la pensée d’un auteur aux références impressionnantes et qui annonce d’emblée un « travail visionnaire » annonciateur d’un « changement abyssal ». De quoi être intrigué, puis quelque peu découragé. Par bonheur, les répétitions abondent et le clou est enfoncé de manière tellement systématique que l’essentiel du propos finit par apparaître.
Nous plongeons ici dans la géopolitique, à la poursuite du « heartland » cher aux compères Mackinder et Haushofer cités à longueur de pages. Face aux ambitions tentaculaires des États-Unis, c’est dans la constitution d’un bloc eurasiatique que se situe le salut selon Parvulesco. Depuis l’ouest, à partir du môle « carolingien » franco-allemand, puis d’une convergence germano-russe beaucoup plus étroite et constante que pourrait laisser imaginer le souvenir des deux guerres mondiales, le projet déborde largement les « modestes collines de l’Oural ». Le long d’un axe Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Tokyo, il s’étend jusqu’en Inde et en un Japon réveillé par M. Koizumi, laissant de côté une Chine curieusement traitée. En effet, si celle-ci constitue en général le « pôle négatif » (donc hostile) du Pacifique au même titre que les États-Unis représentent le pôle négatif de l’Atlantique, on distingue suivant notre auteur une moitié septentrionale du pays qui est historiquement et ethniquement des nôtres et une partie « adultérine, océanique » qui nous échappe.
Si le camp eurasiatique est susceptible de recevoir le renfort d’un « pôle andin », l’adversaire potentiel connaît de son côté une connivence monstrueuse et paradoxale avec l’islam fondamentaliste, au point (à la lecture – fût-elle teintée de scepticisme – de ces pages) de relancer des questions embarrassantes sur l’origine du terrorisme algérien, sur le « complot du complot du complot » (!) à propos du 11 septembre 2001 et sur la responsabilité des services secrets britanniques dans l’assassinat du commandant Massoud, de critiquer les « manigances » de l’Otan en Serbie, de dénoncer l’assaut contre le régime laïc de Saddam et la douteuse alliance pakistanaise, enfin de s’opposer farouchement à l’entrée dans l’Union européenne du cheval de Troie turc dont la modération religieuse n’est qu’une façade.
Si nous voulons nous en sortir autrement qu’en attendant une hypothétique revanche des successeurs du général Lee, nous devons, en Europe occidentale, suivre le bon exemple de l’Italie de Berlusconi et « faire le ménage » chez nous. À cet effet, cesser d’adopter des attitudes suicidaires comme le soutien aux « bandits tchétchènes », mettre au pas les « intellectuels cosmopolites » qui peuplent nos médias et combattre les « foyers d’infection gauchisto-trotskistes » installés depuis mai 68. Ces derniers, affichant de pseudo-programmes sociauxdémocrates mais alliés à des partis communistes vermoulus et à des Verts suspects, risquent une fois au gouvernement de renforcer l’« assujettissement inconditionnel » de notre continent aux vues de Washington, de mettre la France « hors jeu » entre deux grèves insurrectionnelles, tandis que le peuple allemand qui devrait être en tête du mouvement a voté « contre lui-même » (en 2002) en ne ralliant pas Stoiber.
Il reste que le centre de gravité se situe bien à Moscou et c’est là que Vladimir Poutine, homme « providentiel, charismatique, suprêmement doué… » achève la liquidation du régime soviétique entreprise dès Andropov et son disciple Gorbatchev, et est attelé à une tâche immense de rénovation, dans la droite ligne d’une école russe pour laquelle le marxisme ne fut jamais un but en soi mais, contrairement aux trotskistes qu’elle dut combattre, un moyen de poursuivre le projet eurasiatique de Nicolas II.
Dans la perspective d’un conflit inéluctable entre deux mondes, nous disposons de deux puissants moyens. Le premier est l’esprit militaire, celui-là même qui faisait se comprendre Abwehr et GRU. Le second, à la lumière des secrets de Fatima, décisif car placé au niveau des enjeux spirituels, est la rencontre des religions catholique et orthodoxe entreprise par Jean-Paul II avec l’accord évident de Poutine, scellé lors d’une double rencontre au Vatican. L’acheminement vers une seule religion grand-continentale, moyennant certains « accommodements » avec l’hindouisme et le shintoïsme se réalisera, malgré les « résistances farouches des hiérarchies ecclésiales », sous les yeux du leader russe, « représentation du Christ Pantocrator » (pas moins !) quand la statue de l’Immaculée Conception remplacera l’étoile rouge au faîte du Kremlin.
En conclusion, il serait possible d’« esquinter » purement et simplement cet ouvrage. Les prévisions avancées dans des productions déjà anciennes (car le livre rassemble des écrits s’étalant sur un quart de siècle) peuvent se trouver contredites. L’expression est outrée : Lloyd George était une « ordure libérale » et Schröder est un « malotru ». L’auteur invoque de plus des forces occultes lancées dans des œuvres souterraines à la poursuite de « buts très obscurs et même après tout pas si obscurs que cela » (sic), sur lesquels j’en sais long sans pouvoir en dire plus ! Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies… D’un autre côté, on ne saurait rester totalement insensible à cette présentation dérangeante et, même si on croit à moitié à cette annonce d’une lutte apocalyptique rééditant en grand la rivalité de Rome et de Carthage, on est captivé par le par cours d’un homme « insaisissable, lointain, secret », qui tient entre ses mains une partie notable du sort du monde. ♦