Le métier de diplomate
Le métier de diplomate
Préfacé par l’universitaire Jacques Chevallier, le portrait vise à présenter une image exacte et actuelle des hommes de la Carrière, une profession un peu mythique, mal connue, comptant dans ses rangs des effectifs limités et dont les membres sont plutôt agacés par les images du « Ferrero Rocher » et de la « diplomatie de la tasse de thé ». « Mais que font donc ces diplomates entre deux cocktails ? » demandait déjà naguère l’ambassadeur Chambon.
Illustré par les grandes figures de Barrère, des frères Cambon, de François-Poncet… traité au vitriol par Roger Peyrefitte, le métier a connu son âge d’or sous la IIIe République lorsque, après la période des missions temporaires envoyées par les monarques, les ambassades, en quelque sorte institutionnalisées, ont été confiées à des représentants permanents de haut vol dans une ambiance à la fois aristocratique, mondaine et littéraire cachant avec élégance la réalité de hautes responsabilités sur le théâtre international. Il en est résulté au sein du personnel une « forte identité professionnelle », un « sentiment d’appartenance » sous la houlette indiscutée du Secrétaire général, et une culture particulière englobant rapidement les arrivants, faite de modération et d’une discrétion de bon aloi n’excluant pas la liberté de ton à usage interne.
L’évolution survenue après la Seconde Guerre mondiale est clairement décrite, ainsi que les facteurs qui en furent les causes : l’épuration touchant les agents de Vichy faisant place à des énarques aux dents longues, puis l’absorption de l’administration coloniale et de la Coopération ont abouti à un recrutement d’origine « disparate » avec l’« arrivée soudaine et massive de nouvelles recrues », et à des « clivages » porteurs de rivalités entre catégories se retrouvant, ô scandale, pour une grève en décembre 2003 tout comme de prosaïques dockers. En outre, la précision des directives présidentielles depuis la Ve République et les rencontres fréquentes de chefs d’État allant de pair avec l’usage de moyens de communication instantanée, ont limité la marge de manœuvre. Enfin, la prolifération des institutions multinationales, les échanges à caractère hautement technique entre experts, la concurrence des ONG, ont conduit à la naissance d’une multitude de « réseaux parallèles » et à la perte du monopole. Au point de constater la banalisation de l’exercice et même de s’interroger sur l’utilité des ambassades réduites désormais à procéder à une « diplomatie des marges ».
Le maintien, assorti de nouvelles préoccupations gestionnaires, reste pourtant nécessaire : à la base en tant qu’instrument d’introduction, de protection contre les gaffes, de détention du carnet d’adresses obtenu au prix de réceptions parfois pesantes, mais indispensables (« on fait un tour de piste… on repère les amis… ») ; au sommet en tant que coordinateur et organe de synthèse.
L’auteur passe en revue les différentes faces de la fonction diplomatique à l’heure actuelle, et range les diplomates d’aujourd’hui en trois classes : les classiques (portés sur le contact), les technocrates (penchés sur les dossiers) et les baroudeurs (au volant de la Land Rover). Si demeurent un certain « aristocratisme » et un passage par le « moule », le lecteur est en droit de se demander si après tout la spécificité est vraiment si affirmée. En effet, toutes les administrations françaises connaissent le poids de Bercy, la litanie des perpétuelles réorganisations et le slogan « smaller but better ». Tous les fonctionnaires d’« autorité » sont confrontés au mélange entre vie professionnelle et vie privée, à la préoccupation de se trouver près du soleil, à la consultation de l’annuaire, à la notation commentée des subordonnés, à la hantise du passage à la retraite… On note aussi une parenté avec le corps militaire, le désintéressement affiché, la place du cérémonial, le travail du conjoint au rythme des mutations… Enfin, la sacro-sainte informatique a modelé partout les jeunes cerveaux tandis que les anciens sont dubitatifs devant ces électrons à tout faire.
Voici un livre facile et agréable à lire, parfois teinté d’une pincée d’humour, tirant en particulier l’authenticité de son message d’un grand nombre de citations et d’extraits d’entretiens avec des diplomates de tout âge et de tout niveau, parfois un peu répétitif et comportant des longueurs dans sa seconde partie. Le diplomate, « fonctionnaire à part » ? est bon pour son moral d’en être persuadé. Par bonheur, nos compatriotes du Quai ne sont pas des extraterrestres. ♦