Défense et sécurité internationale
Défense et sécurité internationale
L’entreprise était ambitieuse. Il s’agissait, « face aux défis du XXIe siècle », de présenter un tableau panoramique de l’état du monde fracturé et dangereux légué par le siècle précédent. Il eût été possible d’y procéder en 1 800 pages, d’autres l’ont fait ou s’apprêtent à le faire et il y a risque de concurrence. En tout cas, André Collet y est parvenu en dix fois moins de volume et en dix chapitres articulés selon un plan assez « souple », sans rien négliger d’essentiel. On est frappé dans cet ouvrage par la clarté et la concision… la moindre des choses, dira-t-on, pour un contrôleur général des armées ! Donc l’embrassade est large, mais l’étreinte n’en est pas moins solide.
Confronté aux « repères brouillés » et au « grand désordre international » qui en résulte, voici le lecteur invité à réfléchir sur les événements majeurs et les tendances lourdes des dernières décennies, sans craindre de pousser parfois la recherche des origines par des plongées dans le passé auprès de Pierre le Grand, La Fayette ou Moltke, voire Soliman le Magnifique. Des évocations rigoureuses et équilibrées, notamment des conflits des Balkans et d’Afghanistan, ou encore de l’accueil de la Turquie, sont accompagnées du récit de faits exceptionnels et de courtes citations, sans oublier l’inévitable Sun Tze, ni les références de rigueur à Huntington et à Fukuyama.
Le constat n’est pas brillant. Que de guerres perdues ! Que de victoires, dans l’autre sens, « engendrant la paresse et instaurant une fausse sécurité » ! Et voici que les conflits de type classique font place à de multiples facteurs transfrontaliers d’instabilité, et au terrorisme « inintelligible », pratiqué en particulier par le fondamentalisme musulman. Contre ces périls, nos sociétés occidentales se révèlent d’une « extrême fragilité ». Engagées à droite et à gauche au nom d’un « devoir d’ingérence » difficilement compatible avec la souveraineté des États « bénéficiaires », elles ont d’autant plus de mal à prétendre en même temps assurer la protection du territoire national avec des forces au « format réduit ». Le patriotisme décline chez nous au profit de la repentance, pour ne pas dire de la honte, et notre auteur est perplexe devant la suspension de la conscription en France.
L’analyse des « enjeux de la France », et de son « exception africaine » un peu mal en point, est conduite de façon pertinente. En Europe, qui s’est « progressivement démilitarisée » dans la poursuite des fameux dividendes de la paix et qui n’a pas encore de « frontières définitives », les « tandems successifs » franco-allemands ont créé une « amitié durable » (attendons l’ère Merkel) et la Grande-Bretagne continue de privilégier le lien transatlantique malgré l’« heureuse surprise » de Saint-Malo, qui n’est peut-être après tout que simple manœuvre tactique. En prétendant « secourir » les peuples yougoslaves, on a au moins redécouvert l’incompatibilité entre guerre et action humanitaire. L’Union ne semble pas pour le moment avoir apporté la preuve de son efficacité. On parle peu de la Russie, pour qui « le XXe siècle fut terrible » ; elle se débat avec ses Tchétchènes qui ont droit au titre glorieux de « combattants » quatre fois en deux pages. Quant aux micro-États qui prolifèrent, ils ont surtout besoin d’assistance.
Il reste évidemment une place importante à consacrer à l’hyperpuissance américaine, désormais maîtresse dans un ordre devenu « unipolaire », bien que le 11 septembre 2001 ait marqué la fin de l’invulnérabilité. La conception purement technique de la guerre, le mythe du « zéro mort », la survie un peu artificielle de l’Otan, l’ambition du remodelage d’un Moyen-Orient riche en pétrole le mépris de l’ONU… tout cela est connu dans le registre des « amours-haines transatlantiques ». Cependant, le jugement porté plus précisément sur la politique de l’Administration Bush, dont la réélection fut un « défi lancé à l’Europe », est abrupt. L’équipe de la Maison-Blanche est proprement étrillée à coups de termes comme : mystification, illusion, égarement, arbitraire… censés motiver une « indignation générale » ! Les Yankees en prennent pour leur grade. Espérons seulement qu’au bord du Potomac on n’en aura pas autant à servir aux Gaulois.
« Monde chaotique… nouvelles peurs… Amitiés inavouables… », tout cela peut-il conduire à l’optimisme ? Le professeur s’y efforce pour clore son œuvre sur une note gaie : « Les oiseaux reviennent… les amants apparaissent ». Acceptons-en l’augure et saluons le talent de dire beaucoup de choses en peu de mots. ♦