Adieu ma France
Adieu ma France
Le silence devant l’incertitude ou le danger n’est pas la caractéristique principale du général Marcel Bigeard. Pour son quinzième et dernier livre, et avant de fêter son 90e anniversaire, l’officier le plus décoré de France souhaite délivrer un message fort aux jeunes générations sous forme de testament. Il ne s’agit pas d’un ultime coup de gueule ni d’un règlement de comptes – quoique nombre d’hommes politiques y trouveront le leur – mais plutôt d’un cri d’alarme devant l’état actuel de la société française, dans le but de la sortir d’un « processus de déliquescence » et d’exhorter l’opinion à un « réarmement moral ».
À la lecture des thèses exposées, il y aurait effectivement de quoi s’inquiéter. Analysant avec sévérité la situation politique et sociale de la France de 2005, le général Bigeard met souvent le doigt où cela fait mal. Parfois sans nuance – mais ne s’agit-il pas de réveiller les Français ? – quelques phrases choc reflètent sa (dernière) volonté de secouer le pays ; en voici un florilège : « Notre pays va à la dérive », « on a l’impression d’une bougie qui s’éteint », « la France est en guerre », elle n’est « plus fière de son identité » mais « la risée du monde entier ».
Nombreux sont en effet les sujets qui présentent, aux yeux de l’auteur, un réel péril pour notre pays : l’immigration, la « démolition » des valeurs, la perte du sens de l’effort, la dictature du politiquement correct, la démobilisation des jeunes, la suspension de la conscription, mais aussi les effets de la mondialisation, de la société de consommation et de la montée du communautarisme. Plus particulièrement, les dangers de la menace islamiste constituent le leitmotiv du général. En premier lieu, il constate la progression de l’islam dans le monde, la faute de Washington pour être tombé dans le « piège irakien » et avoir réconcilié les chefs militaires et religieux chiites et sunnites, ainsi que la déstabilisation de la région tout entière, considérant que « le seul leader charismatique actuel du monde arabe, c’est Oussama ben Laden ». Consacrant un chapitre entier aux sources de l’islamisme, qu’il estime être une imposture, il dénonce ensuite « la lutte, ouverte ou souterraine, des musulmans de France contre la laïcité », l’existence d’une « cinquième colonne » sur notre territoire ainsi que le laxisme passé de l’État dans la lutte contre le radicalisme islamiste. Enfin, troublé par la prise de possession de véritables bastions par ces mêmes islamistes, en particulier les salafistes, il montre en quoi la France constitue une cible pour ces extrémistes religieux qui parviennent à tisser leur toile en vue de la « destruction de nos valeurs ». À ce sujet, l’auteur estime que « la guérilla urbaine à Alger ou celles qui nous arrivent à Paris ou dans d’autres banlieues se combattent par les mêmes méthodes, par la même politique ».
Par ailleurs, la perte de terrain de la France sur la scène internationale et son manque d’ambition préoccupent beaucoup le général Bigeard qui s’alarme de son effacement en Europe et du « spectaculaire rapprochement entre Alger et Washington », alors que « les États-Unis dressent contre eux l’ensemble de la planète ». Il faut avouer que, s’agissant de l’Algérie et de la lutte contre les poseurs de bombes, nous ne sommes pas en présence d’un profane.
Alors, au travers du rappel de l’œuvre de Français illustres comme Gallieni, Clemenceau, Foch, Lyautey ou Leclerc, le général cherche « l’homme providentiel » et rêve à un nouveau de Gaulle qui relèverait un pays dans lequel il « ne se reconnaît plus ». Entre-temps, celui qui fut nommé secrétaire d’État à la Défense en 1975 se proclame « disponible pour un modeste poste de secrétaire d’État au ministère des Français à la dérive ». Gageons, à le lire, qu’il y trouverait de la besogne !
Enfin, par-ci par-là, l’ancien chef militaire n’oublie pas d’ajouter quelques touches intimistes à son ouvrage en rendant un vibrant hommage à son épouse et à sa fille qui l’ont suivi et attendu tout au long de son engagement pour son pays, engagement que personne ne pensera à contester quand, un jour ou l’autre, ce grand patriote nous quittera. ♦