Les mosquées de Roissy
Les mosquées de Roissy
« 2007, année de l’islamisation de la France ? ». Le péril islamiste piétine aux portes de l’aérogare, et il est temps de tirer la sonnette d’alarme. C’est l’idée-force qui se dégage des premières pages du dernier livre de Philippe de Villiers, Les mosquées de Roissy. À quelques mois des élections présidentielles et législatives de 2007, Philippe de Villiers cherche-t-il à alerter les pouvoirs politiques français sur le danger de l’islamisme en France ou exploite-t-il un créneau idéologique qu’il juge porteur ?
Son ouvrage à charge s’appuie sur des documents authentiques qui tendent à accréditer la thèse selon laquelle l’infiltration de différents services d’Aéroport de Paris (ADP) par des réseaux islamistes, souvent algériens, est devenue une réalité que l’état français se refuse à considérer. Les recrutements se feraient sur une base ethnico-religieuse. Les intérimaires musulmans seraient préférés aux « Français de souche ». Les responsables syndicaux ne cacheraient plus leur haine du modèle occidental. Ayant infiltré la société CBS (Connecting Bag Services), sous contrat avec ADP, un réseau de ressortissants algériens originaires de la ville de Ghazaouet (près de Tlemcen) se consoliderait sur le sol de la France, attendant un ordre des chefs islamistes pour passer à l’acte.
L’« islamisation rampante », d’après Philippe de Villiers, gagne du terrain non seulement à Roissy, mais également dans l’école, l’entreprise, la prison. L’opposition périlleuse entre les « Français » et « nous », les « Arabes » hier, les « musulmans » aujourd’hui, reçoit le renfort de partisans prosélytes qui rejettent l’impérialisme américain, le laïcisme français qualifié d’« idéologie athée » et la dérive généralisée des mœurs en Occident. Le « peuple français » fait le constat de « l’usine qui se démonte, la mosquée qui s’installe, le porte-monnaie qui se vide », sans qu’on parvienne à identifier le lien entre une délocalisation industrielle en Asie et l’ouverture d’une mosquée en Seine-Saint-Denis. Mosquées qui fleurissent : 1 700 en 2004, contre 100 en 1970. C’est ce que Philippe de Villiers appelle, après d’autres, l’islamisation de la France, contre laquelle il entend lutter, d’un côté, par une politique d’immigration zéro en France et, de l’autre, par une politique d’émigration zéro dans les pays de départ.
Le président du conseil général de Vendée tente-t-il de fabriquer un ennemi intérieur sur mesure – des extrémistes musulmans qui islamisent la France lentement – afin de le renforcer pour mieux le combattre ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’est agité ainsi le thème de l’islamisation et du péril de l’islam dans la société française. La construction d’un minaret à la Roche-sur-Yon, dans son fief vendéen, qui compte 1 000 familles musulmanes (pas toutes pratiquantes), n’a évidemment pas réjoui le président du Mouvement pour la France, MPF (Le Point, 4 mai 2006, p. 91.). Certes, on ne se pose qu’en s’opposant, mais Philippe de Villiers est-il conscient que, par ses outrances, il incrimine des millions de personnes qui professent calmement leur foi dans le cadre de la République en les présentant comme une cinquième colonne menaçante ?
D’abord, le terme d’islamisation ne correspond pas à la réalité sociologique française. Si un regain de la foi se constate dans certains milieux musulmans, si le port du voile se fait plus ostentatoire à Montreuil, si l’influence des « grands frères » dans les cités est parfois ambiguë, si la création du Conseil français du culte musulman pose davantage de problèmes qu’elle n’apporte de solutions, on n’assiste pourtant pas à des conversions massives à l’islam sur le sol de la République. L’activisme d’agitateurs islamistes, dans les banlieues parisiennes et ailleurs, ne doit pas être négligé, mais pas non plus exagéré : durant les émeutes d’octobre et novembre 2005, on n’a pas souvenir d’avoir vu le drapeau du Hamas flotter à Clichy. Les jeunes Français de confession musulmane se caractérisent souvent par l’ignorance de leur religion et de leur pays d’origine, dans lequel ils ne mettent les pieds que pour les vacances, dont ils ne parlent généralement pas la langue ; et où ils sont d’ailleurs considérés comme des étrangers, des Français. Les agitateurs islamistes profitent de la vacuité religieuse et culturelle et du ressentiment qui peut gagner ces jeunes pour entreprendre leur travail de propagande. Un enseignement du fait religieux consolidé pourrait permettre de pallier la dérive communautariste que redoute de Villiers, pourfendeur de l’islam de France.
L’auteur, comme tant d’autres, n’a pas pris en compte l’évolution du monde arabo-islamique. Selon un rapport du Club de Rome de 1970, la population mondiale devrait compter 8 milliards de personnes. Or, elle s’élève à 6 milliards. Et ce freinage démographique vient principalement des pays musulmans. Si Philippe de Villiers a raison de souligner que les forces laïques et marxistes du monde arabe sont aujourd’hui submergées par les mouvements islamistes – Maroc, Turquie, Égypte, Palestine, Irak –, il n’en demeure pas moins que la Turquie et l’Iran ont achevé leur transition démographique, que dans ces deux pays (et ailleurs) les femmes – de plus en plus alphabétisées et donc de plus en plus maîtresses de leur fécondité – investissent la société civile (université, entreprise, vie politique), que l’individualisation des pratiques religieuses est une réalité. À court terme, le monde musulman promet quelques convulsions violentes, notamment en Irak et au Pakistan ; à long terme, sa composante non arabe – turque et iranienne – entrée dans la modernité, ou maghrébine, en passe d’y entrer, pourrait servir de locomotive aux pays arabes.
Enfin, le vrai choc avec l’islam n’est pas en Europe. La progression mondiale de l’islam est un phénomène extrême-oriental, et non pas occidental : c’est avec les sociétés hindouistes et bouddhiques que l’islam se frotte le plus durement, et non avec la civilisation judéo-chrétienne : les attentats terroristes que l’Inde a connus, fin 2005 et début 2006, ne concernent plus seulement le nord du pays et le Cachemire, mais l’ensemble de l’Union, soumise aux tensions intercommunautaires entre musulmans et hindous radicaux. Plus d’un musulman sur deux vit à l’est de l’Indus et se tourne vers l’Occident pour faire sa prière en direction de La Mecque. Les quatre puissances démographiques musulmanes sont toutes non arabes et situées en Asie du Sud ou du Sud-Est : Indonésie, Pakistan, Bangladesh et Inde. Le crépuscule du « monde islamique » arabocentré est déjà là. Le député européen, comme d’autres, n’en a pas pris acte.
Le plus étonnant est que Philippe de Villiers, qui dit croire en la France, ne croit pas en la puissance de l’assimilation française, qu’il démarque justement de l’intégration : pour un barbu agité ou un Français converti à l’islam radical, combien de Français d’origine maghrébine assimilés à la société française, indifférents à la religion (surtout les Franco-Algériens), intégrés à la vie socio-économique comme médecin, avocat, cadre commercial, journaliste ou universitaire ? Combien de « couples mixtes » respectueux du pacte républicain et de la laïcité française exigeante ? Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir ce souverainiste, qui prétend rassembler la société française, encourir le risque, par cette croisade contre l’« islamisation de la France », de la diviser profondément. ♦