Ramses 2007, l'Europe et le monde
Ramses 2007, l'Europe et le monde
Le Ramses nouveau est sorti, vingt-cinquième de la série. L’acronyme désigne le rapport annuel de l’Institut français des relations internationales, institut que dirige Thierry de Montbrial. Fidèle à une formule qui convient au rythme de la parution, l’Ifri privilégie chaque année un thème. C’est, cette fois, l’Europe et le monde.
Thierry de Montbrial, comme il convient, ouvre le bal. L’opposition de l’idéologie et du réalisme, démocratie versus intérêts, lui sert de fil. Pour lui, et pour beaucoup, la fin de l’histoire par l’extension planétaire de la démocratie n’est qu’une rêverie ; les intérêts, têtus, continuent de régler – ou dérégler – la marche du monde. Le jugement est bien étayé : la marée démocratique, espoir il y a quinze ans, marque le pas, en Russie, en Asie centrale, en Chine ; l’échec est patent au Proche-Orient, où le recours aux urnes amène les islamistes au pouvoir en Palestine et les en rapproche en Égypte ; en Amérique latine, d’étranges dirigeants inquiètent, inquiétude que renforce la dernière sortie du président vénézuelien Hugo Chavez, insultant George Bush à la tribune de l’ONU. La seule note optimiste, et inattendue, est en Arabie Saoudite et dans les États du Golfe, dont l’auteur fait grand cas. Conclusion : morte l’idéologie, vive l’État, structure d’ordre. Rangera-t-on l’Europe sous la bannière étatique ? Hélas ! sa voix est bien peu entendue. C’est ainsi, et c’est injuste compte tenu des positons raisonnables que l’Europe défend et des moyens qu’elle consacre généreusement à atténuer les malheurs des autres, et d’abord en Palestine.
L’Europe semble donc ne pas faire le poids, face aux États-Unis aujourd’hui, face à l’Inde ou la Chine demain. C’est un peu vite dit. À quoi se mesure déjà, à quoi se mesurera demain, la puissance des nations ? À cette question, Philippe Moreau Defarges tente de répondre. Certes, au premier abord, l’Europe « n’est plus exceptionnelle » ainsi qu’elle fut longtemps. C’est la juger à l’aune de la puissance classique, laquelle pourrait bien ne plus avoir d’avenir. Exceptionnelle reste l’Europe, en un tout autre domaine : laboratoire de « paix universelle », tête pensante de l’humanité, c’est par elle que la fin de l’histoire adviendra, qu’elle le veuille ou non, qu’elle le sache ou non. D’autres auteurs enfoncent ici le clou. Dominique Moïsi parle de l’Europe comme du « continent de la mémoire », capable d’assumer ses fautes. Jolyon Howorth la voit inventer une « approche post-westphalienne des relations internationales ». Stanley Hoffmann juge l’influence européenne plus équilibrée que celle de l’Amérique.
Sans doute les perspectives d’élargissement de l’Union européenne sont-elles épreuve de vérité. Que voulons-nous ? ; question banale, cède à une autre, qui ne l’est pas : Qui sommes-nous ? À cette interrogation indiscrète, la pudeur chrétienne interdit de répondre en vérité, la chrétienté se décline désormais en trois D : démocratie, dialogue, droits de l’homme (Claire Demesmay et Emmanuelle Saunier).
De l’exception européenne, de son aura discrète, voici deux exemples. Face à l’Europe et aux « révolutions colorées » qui s’en réclament, Vladimir Poutine mène une défense active dont les outils économiques, énergiquement repris en main, sont les rudes moyens ; mais les peuples de l’Est « attendent de l’Europe – et seulement d’elle – ce qu’ils appellent la civilisation, sorte de miracle quasi inéluctable » (Annie Daubenton). Au Moyen-Orient et sur les rivages Sud de la Méditerranée, une dialectique transatlantique est à l’œuvre, force brute aux États-Unis et diplomatie charitable à l’Europe, hard américain et soft européen (Dorothée Schmid).
La seconde partie de l’ouvrage est une encyclopédie. Un choix s’impose, parmi les « repères » qu’on nous propose. Sur l’Afghanistan, Olivier Roy se montre d’un pessimisme bien assis et voit l’Isaf (Force internationale d’assistance à la sécurité) confrontée à une tâche impossible. En Algérie, à lire Khadija Mohsen-Finan, l’enrichissement pétrolier de l’État ne profite qu’à celui-ci et le projet – français – de traité d’amitié sombre dans le ridicule. Pascal Moneret, sur l’Arabie Saoudite, ne partage pas l’optimisme de Thierry de Montbrial. L’épouvantail chinois est remis à sa vraie place par Valérie Niquet, qui énumère les défis gigantesques qui attendent cette république toujours « populaire ».
Terminons par l’Iran, autre épouvantail plus proche des moineaux européens, faciles à effrayer. Il est de mode, depuis peu, de situer dans ce grand pays le nœud des problèmes du Moyen-Orient. C’est faire bien de l’honneur aux populistes islamistes qui règnent à Téhéran. C’est aussi accorder trop de poids à la « chose » nucléaire dont le mythe, dit-on, serait le garant de l’unité nationale iranienne. Certes l’Iran, comme la Chine, recèle bien des mystères. Le moindre n’est pas que son peuple, qu’on nous présente paré de toutes les vertus, se soumette si continûment à un régime stupide. Il est vrai que, dans les années 30, il y eut des Européens, et des plus distingués, pour accepter une servitude analogue. Pas de quoi être fier ! ♦