Parier pour la paix
Parier pour la paix
Le « a » de parier est-il fortuit ou intentionnel ? L’auteur en appelle à plusieurs reprises à Jean XXIII et à Jean-Paul II, sans oublier Teilhard de Chardin dont il se fait l’ardent supporter. Mais ses références débordent largement le pur terrain religieux, puisqu’il s’entoure de nombre de philosophes et penseurs « conviés au débat », allant d’Érasme à Pascal et de Kant à Nietzsche.
Dans cet ouvrage rédigé à la première personne, non dénué de causticité et solidement construit selon les classiques trois parties, le général Cot, dont on sait qu’il n’est pas homme à s’accrocher à quelque conservatisme, poursuit l’« utopie réaliste » d’un monde pacifique, idée à classer selon lui parmi les « folies raisonnables qui progressent dans le monde ». Il appuie la validité de sa démarche sur le fait que les chefs militaires sont les premiers à constater les horreurs de la guerre, à en concevoir chagrins et regrets (Napoléon lui-même n’a-t-il pas été ému jusqu’aux larmes devant le spectacle du champ de bataille d’Eylau ?) et à revendiquer plus le statut de colombes étoilées que de brutes sanguinaires.
Encore fallait-il que le héraut de cette tendance commune soit en mesure de l’appliquer à la situation contemporaine. Or il se trouve que lui, témoin idéal, répond au plus juste à cette exigence. Sa carrière est en effet particulièrement représentative de la rupture aussi rapide que complète intervenue dans les missions des armées depuis la fin de la guerre froide. Commandant la Ire armée qui englobait l’essentiel de nos volumineuses forces de combat de l’époque, en vue de la défense du territoire national, dans le cadre d’une relève clausewitzienne de la diplomatie et dans une ambiance d’unités de feu et de contre-attaques de chars lourds, le voici propulsé peu après à la tête de la Forpronu, relativement maigre en effectifs, face (comme partout désormais aux quatre points cardinaux de la planète et du tiers-monde) aux obstacles juridiques à l’usage des armes, aux mouvements de foule et à la détresse des réfugiés. De la trouée de Hof à Petersberg ! Le virage est incontestablement serré, même si – concédons le – la pratique des vertus militaires de base reste en honneur.
Après une analyse pertinente de l’ancestral phénomène « guerre » jusque dans ses aspects les plus romantiques, le rédacteur fait donc largement appel à son expérience yougoslave. Il est alors particulièrement qualifié pour constater le « bric-à-brac » des contingents de soldats de la paix dont il approuve les missions mais déplore les insuffisances, pour dénoncer les faiblesses et les lacunes de l’ONU, pour décrire les relations parfois grosses d’arrière-pensées entre le casque bleu, le journaliste et l’humanitaire… Raison de plus à ses yeux pour, en connaissance de cause, ne pas baisser les bras et au contraire, sans pour autant tomber dans l’« angélisme » ni confondre pacifisme et lâcheté, poursuivre dans la voie du cœur et de la raison. À cet effet, à défaut de formules magiques sorties du chapeau, il convient de renvoyer Huntington à ses chères études, de réformer l’ONU en la dotant de moyens militaires adaptés et efficaces, de lutter contre le « comportement inadmissible » des dirigeants actuels des États-Unis, de relancer l’Europe après le « trou noir » du référendum de mai 2005 en ayant recours à la pédagogie auprès des « souverainistes obsédés » et des « handicapés de la monoculture », de s’appuyer enfin sur l’« expression directe des citoyens » et sur les « grandes manifestations mondiales » comme le forum social de Porto Alegre.
La marche « vers l’abondance, la dignité, la paix » reste semée d’obstacles car « le relâchement brutal de la tension entre l’Est et l’Ouest semble libérer d’autres forces contenues » et en particulier laisser la place à des « conflits intra-étatiques ». L’auteur est assez lucide pour imaginer les questions de lecteurs conquis mais inquiets : convient-il de renoncer aux « guerres justes » ? Comment définir les critères autorisant à « mettre hors d’état de nuire un pouvoir dont les actions criminelles s’exercent sur une partie de sa propre population » ? Faut-il nier la volonté de puissance des peuples à côté des « responsabilités des dirigeants » ? Aurait-on pu vraiment éviter la Grande Guerre dans le contexte européen passionnel du début du XXe siècle ? Ou s’épargner Diên Biên Phu par une lecture plus attentive de l’inusable Sun Zi ? Il sait à l’évidence qu’il court le risque intellectuel de s’attaquer au règne de la realpolitik et il n’oublie certainement pas le hochement de tête de la bonne grand-mère à l’écoute de la TSF : « Tant qu’il y aura deux hommes sur terre, ils se battront ! ».
Quo vadis ? (traduit ici pour les non initiés). Il faut faire preuve d’un « optimisme délibéré ». Venant d’une voix autorisée, décrit avec compétence, exposé avec conviction, le thème est séduisant. ♦