American parano, Pourquoi la vieille Amérique va perdre sa guerre contre le reste du monde
American parano, Pourquoi la vieille Amérique va perdre sa guerre contre le reste du monde
Vous avez aimé Après l’empire d’Emmanuel Todd ? Vous appréciez Philippe Grasset et furetez de temps en temps sur dedefensa.org ? American parano, de Jean-Philippe Immarigeon est fait pour vous. Sorti en septembre avec un titre pastichant American vertigo, il évite le ton grave, hautain et moralisateur de BHL : rafraîchissant !
L’auteur est bien connu des lecteurs de Défense nationale et sécurité collective grâce à la série d’articles qu’il y a publiés de 2001 à 2004. Ce livre est beaucoup plus qu’une simple réunion de ces textes. L’auteur s’attache en effet à lire Tocqueville : tout Tocqueville, à savoir les deux tomes de La démocratie en Amérique, les Cahiers de voyage, Quinze jours dans le désert, L’ancien régime… On est donc loin des pages choisies lues par le « science-potard lambda » à qui cette maigre pitance suffit pour « comprendre » les États-Unis. Car Immarigeon découvre la méprise de Toqueville : celui-ci croyait que les États-Unis, derniers arrivés dans l’histoire, construisaient ainsi le stade le plus avancé de la démocratie et pouvaient donc représenter un « modèle » dont la vieille Europe pourrait s’inspirer. Immarigeon montre au contraire que les États-Unis sont vieux : les pèlerins du Mayflower fuient en effet l’Europe renaissante, celle qui invente le doute individuel et la raison. Ils désirent un monde pur et irresponsable, qui ne trouve son salut que dans cette île retirée du globe, et donc dans l’isolement d’une théocratie proprement féodale. Les États-Unis constituent ainsi une régression qui refuse de voir le « reste du monde ». Cela est la source de la cécité culturelle, de la raison d’État pratiquée à grande échelle, de la censure « douce », du culte de l’Amérique, du militarisme essentiel pour se défendre de l’autre qui par sa seule existence est un ennemi, de l’étatisme rampant et en final de l’impossible mondialisation. Car au fond, les États-Unis sont en retard, et c’est l’Europe qui est en avance…
Le livre d’Immarigeon essuiera deux critiques qu’il faut lever tout de suite : celle de ne pas être un livre « sérieux », puisque l’auteur n’est pas du sérail intellectuel. Le reproche tombe bien sûr à plat, car la vérité n’appartient pas aux élus ou aux mandarins, mais aux chercheurs de sens, quelles que soient leurs erreurs de détail. Certains reprocheront aussi « l’antiaméricanisme primaire », qui rappelle bien sûr « l’anticommunisme primaire » de la grande époque. Outre que celui-ci avait finalement raison, il y a bien sûr dans ce livre une « critique » des États-Unis. Mais plutôt que de se raccrocher aux courants traditionnels de l’hostilité à l’Amérique (anticapitaliste pour les gens de gauche, anti-universalistes pour les gens de droite), Jean-Philippe Immarigeon invente une analyse solitaire, fraîche, fructueuse et stimulante : on peut ne pas en adopter toutes les conclusions, mais on doit admirer la nouveauté intellectuelle et la richesse du résultat. Ce sera à coup sûr une référence salubre. ♦