L'Afghanistan : du provisoire au transitoire, quelles perspectives ?
L'Afghanistan : du provisoire au transitoire, quelles perspectives ?
Une élection peut souvent en cacher une autre. C’est le cas de la proximité sans doute moins fortuite qu’il n’y paraît entre les élections présidentielles du 4 novembre 2004 aux États-Unis et du 9 octobre 2004 en Afghanistan. Chacun sait que l’élection d’Hamed Karzaï à Kaboul s’inscrivait en filigrane dans la campagne électorale que menait George W. Bush à Washington. Les résultats officiels sont d’ailleurs annoncés le même jour dans les deux capitales.
Le rêve démocratique et l’accès à la souveraineté nationale auxquels aspiraient les Afghans depuis la chute des taliban doivent désormais être jugés à l’aune de cet événement.
C’est à ce lancinant chemin vers l’état de droit, ses illusions et ses impasses que nous invite Kacem Fazelly, proche de l’ancien roi, Mohammad Zaher Chah et ministre conseiller chargé de la loi, au sein du gouvernement de transition de Hamed Karzaï, avant de démissionner pour s’opposer au retour insidieux de l’islamisme radical, qui se trouve désormais en parfaite harmonie avec la direction autocratique de la présidence.
En témoin averti, le professeur Fazelly « analyse avec grande finesse et déplore, en détail, les maladresses fatales, dénonce les mauvais choix, nous avertit des déceptions qui s’accumulent dans Kaboul et son arrière-pays avec la remontée des rancœurs intégristes, après l’immense espoir soulevé en décembre 2001 », dit Michael Barry, qui a préfacé l’ouvrage.
En effet, l’attachement à la démocratie et à l’état de droit guide les propos de ce juriste afghan, qui, ayant fui son pays en 1980, envahi par l’Armée rouge, se met à enseigner l’islam politique dans les universités Paris I et Paris V.
La chute du régime des taliban à la fin de l’année 2001 ouvre une période de reconstruction à laquelle Kacem Fazelly répond avec enthousiasme à la demande du président afghan, la constitution parlementaire de 1964 étant reconnue par les accords de Bonn comme base de la nouvelle orientation politique du pays.
Le dur retour à la réalité géopolitique expose l’Afghanistan à une triple menace : la survivance des moudjahidines, le retour des taliban et, phénomène inattendu, l’émergence du fondamentalisme des oulémas, promu par l’Autorité de transition elle-même, largement soutenue par les États-Unis.
L’auteur attribue cet ancrage de l’islamisme radical à une gestion défaillante du pouvoir et surtout à l’absence de distinction, dans le processus de Bonn, entre les efforts légitimant des institutions étatiques responsables et le déclenchement, au même moment, de luttes intestines pour le contrôle du pouvoir. Une attitude qui nuit gravement à la cohésion du groupe dirigeant et incite le repli identitaire et ethnique.
Y a-t-il là une fatalité pour cet État empêché de conduire à leur terme les rares expériences démocratiques qui s’offrent à lui ? Hypothèse d’autant plus douloureuse que la démocratie se présente comme la seule alternative capable de résorber à la fois les divergences ethniques et réduire l’écart qui sépare l’Afghanistan de l’Occident dont le sort est de plus en plus intimement lié aux fléaux contre lesquels la société internationale est mobilisée : le terrorisme international, la culture et le commerce des stupéfiants.
À travers son vécu au cœur des efforts de paix, notamment depuis juin 1999, l’auteur livre, arguments en main, ses commentaires autorisés qui ont accompagné l’élaboration d’une constitution à forte connotation religieuse, qui, sous couvert d’un régime hybride qualifié de « République islamique d’Afghanistan », fait du système de la Charia, la base de la législation, sans se soucier que le choix ainsi fait replace les fondamentalistes au centre de la vie politique afghane.
Ainsi, la force de cet ouvrage réside dans la capacité à anticiper la chronique de blocages annoncés, malgré les avancées de façade en matière de droits de l’homme, en particulier le statut social des femmes et de liberté de la presse. Au-delà de la description minutieuses des déficiences liées à la gestion de la crise, l’ouvrage rappelle les enjeux majeurs de celle-ci : désarmement et réintégration à la vie civile des milices djihadistes, affirmation de l’autorité du centre face à la périphérie, lutte contre le terrorisme international et l’éradication de la culture du pavot.
En conclusion et pour surmonter la crise à venir, Kacem Fazelly, suggère des remèdes, afin que cesse la violence dans une zone habitée par la haine depuis plus de deux décennies. Au système de tutelle des Nations unies qu’il préconise, il confie une série de missions, préalables à la stabilité démocratique du pays ; en premier lieu desquelles, l’assistance économique, le maintien de la sécurité collective, la réforme de la constitution et surtout les mutations culturelles à engager d’urgence.
L’auteur précise ainsi que « se contenter de la chute des taliban ne garantit pas le succès de la guerre contre le terrorisme international. De profondes mutations économiques et culturelles sont souhaitées pour que le message de paix introduit par les accords de Bonn soit durablement entendu. Le mal est profond et la guérison exige un traitement long et patient ». ♦