Les cartes du crime
Les cartes du crime
Cet ouvrage consacré à la lutte contre l’insécurité ne saurait laisser indifférent en une époque où, sous toutes ses formes, ce fléau occupe les esprits, même si on imagine que les tire-laine du temps passé n’étaient pas des enfants de chœur.
Il s’agit ici de réaliser, comme on le fait pour une épidémie mais avec plus de continuité, une analyse spatiale et « environnementale » des actes criminels et délictueux (sans oublier les incivilités, celles-ci étant d’ailleurs plus difficiles à caractériser et à répertorier), dans le but de cesser – écrit le préfacier Alain Bauer – de faire passer la thérapeutique avant le diagnostic. Il importe d’agir le plus possible par anticipation, l’auteur insistant toutefois prudemment sur les limites de cette opération de prédiction et par conséquent de prévention.
La démarche consiste alors à établir une cartographie précise des lieux criminogènes, sans se laisser borner par le découpage administratif, mais en descendant jusqu’à la rue commerçante, au parking, voire au kiosque à journaux et au distributeur automatique, et en tenant compte de l’architecture, du tracé des voies, de la structure des réseaux de transport en commun, de l’intensité et de la distribution de l’éclairage public, de l’efficacité du nettoyage urbain… La méthode paraît tout à fait logique et la lisibilité du produit (dont l’auteur n’hésite pas à détecter les premières manifestations sur les « gravures rupestres de Lascaux »), à l’aide de nuages de points et de codes de couleur, est bien adaptée à la mise en évidence des « points chauds », « territoires de chasse des gangs » et autres boulevards du crime.
La cartographie n’est toutefois pas seule en jeu. Elle s’accompagne d’une nomenclature des actions répréhensibles et d’études croisées portant sur les modes opératoires, la répartition horaire et saisonnière ; les conditions météorologiques, le taux de chômage dans la région considérée, le contexte social et familial, etc. Il faut aussi tenir compte de l’évolution des procédés (par exemple dans les attaques de banques). Aussi n’est-il pas question d’une simple récapitulation de mains courantes, mais de la mise en œuvre de techniques élaborées où les statisticiens s’en donnent à cœur joie, à coups d’IDW, de Kriging et autre aoriste gnomique dépassant le niveau du « client lambda » cher à Besson. Les travaux anglo-saxons, en avance sur nous, font autorité dans le domaine grâce à des équipes de chercheurs parmi lesquels on s’amusera de voir figurer un Monsieur Capone ! Allant jusqu’à enquêter auprès des condamnés, ces spécialistes ont contribué à l’obtention de succès indéniables dans de grandes villes américaines comme New York, Chicago ou Baltimore. Les États-Unis affichent « le taux le plus bas depuis trente ans ».
On retiendra un portrait du malfaiteur pas totalement inattendu, mais recevant ici sa confirmation. Ce personnage de sac et de corde est en fait le plus souvent un « acteur conscient et rationnel », adepte du calcul des probabilités, pratiquant l’analyse des facteurs comme tout bon tacticien, de même que la loi du moindre effort. C’est ainsi qu’il étudie avec soin les conditions d’exécution de sa coupable entreprise et les itinéraires de repli et qu’il agit la plupart du temps en terrain connu non loin de son point de départ. Ici comme ailleurs s’applique une répartition évoquant la loi des 80/20 sur des exemples révélateurs : hold-up bancaires concentrés sur 4 % des établissements, 70 % des actes de vandalisme sur 7 % des arrêts de bus, 70 % des vols à l’étalage sur 1,6 % des boutiques… À Houston, 74 % des homicides interviennent à moins de trois kilomètres de la résidence du meurtrier.
Cette œuvre originale que l’on a présentée sous ce qui nous a paru être les aspects essentiels vaut bien entendu pour des pays « avancés », où l’on peut voir régner une salutaire et durable entente entre municipalités, pompiers et forces de police non corrompues, et où en outre la population solidaire se dis pense de pratiquer l’omerta et la fuite des témoins. Jean-Luc Besson fut directeur de la sécurité de la ville de Roubaix. Cette référence est de poids, si l’on songe à la métamorphose d’une ville naguère sinistrée et aujourd’hui rayonnante. ♦