Le conflit de Tchétchénie
Le conflit de Tchétchénie
Voici un exposé précis, bien documenté et de lecture facile qui, en 17 courts chapitres, fait le tour d’une question vieille de cinq siècles et permet d’acquérir une vue globale d’un drame actuel dont nous n’avons souvent connaissance que par à-coups lors d’événements paroxystiques, quand, entre deux faits divers bien de chez nous, on nous projette des vues des ruines de Grozny ou de visages chagrinés de mères de soldats.
Le récit du passé n’exige qu’un rappel, tout en étant indispensable à la compréhension du présent. On sait que les Tsars ont eu leur Far East en direction de la Sibérie, mais aussi leur poussée vers le Sud à partir du cours du Terek. Le scénario correspondant n’est pas unique en son genre : une colonisation quelque peu brutale, la résistance (facilitée par le terrain) d’un peuple montagnard aux « mœurs rudes » et accroché en outre à la « barrière infranchissable » de l’islam, enfin le prestige d’un héros national, Chamil, sorte d’Abd el Kader. Puis, beaucoup plus tard, du temps des Soviets, une compromission imprudente à l’occasion des avancées caucasiennes de la Wehrmacht, suivie de la vengeance de Staline sous forme d’une déportation en masse orchestrée par l’aimable Beria, avant le retour au bercail grâce à Khrouchtchev et à la perestroïka.
On aurait pu alors revenir à la case départ, mais il était tentant de profiter de la déliquescence russe des années 90. La suite est désespérément schématique et l’on croit, en dépit des particularités régionales, assister une fois de plus à l’habituel déroulement des situations analogues : des guérilleros, des embuscades, des assassinats, le tout réprimé par l’armée fédérale déboussolée et parfois mal commandée de cette époque, répondant aux exactions par une dureté aveugle. Se succèdent alors la recherche de « collaborateurs » locaux, les espoirs mis en l’homme fort du moment (le général Lebed), des élections peu fiables, une série d’accords trahis dès que signés, la qualification de « bourbier » et la lassitude de l’opinion publique, sous le regard désolé de la Cour européenne des droits de l’homme, la production du manifeste d’un groupe parisien d’intellectuels autoproclamés adorant ce genre d’exercice, sans oublier les prises de position de personnalités de haute stature morale, telle Mme Vanessa Redgrave ! On a déjà entendu tout cela à droite et à gauche depuis pas mal de décennies.
Une révolte aux aspects romantiques, mais entachée par l’anarchie, la corruption, les querelles internes, les pratiques mafieuses, les prises d’otages… Un pouvoir russe alarmé par le risque de contagion régionale et peu désireux de voir s’effondrer la file des dominos, soumis aussi à divers impératifs stratégiques et économiques… Des gouvernements européens déplorant et condamnant tour à tour selon l’évolution de la conjoncture ; des Américains plutôt enclins à l’indulgence depuis le 11 septembre 2001 en fonction des bruits de radicalisme islamiste et d’enrôlement de volontaires étrangers. En 1994, une première intervention des forces fédérales, prévue comme une simple promenade militaire, tourne de façon assez désastreuse pour le pouvoir central. En 1999, la détermination du président Poutine, illustrée par une formule, aussi énergique que scatologique, inspire une opération mieux montée et obtient sans doute des résultats plus satisfaisants vus de Moscou. Mais le conflit bascule dans le terrorisme, y compris hors du territoire tchétchène, avec l’affaire du théâtre Doubrovka et le « bain de sang de Beslan », «« sommet de la barbarie ».
Pour l’heure, il semble qu’intervienne un certain degré de normalisation, voire un début de reconstruction. Mais l’ambiance reste morose et, comme toujours en pareil cas, les bons apôtres de préconiser la fameuse « solution politique », moyen réputé apte à instaurer un règlement plus durable que le recours aux armes, dès lors que les pratiques staliniennes n’ont plus cours. Là aussi, le refrain est connu, mais il faut bien reconnaître que, d’« autonomie interne » en « indépendance dans l’interdépendance », le doigt est le plus souvent emporté dans l’engrenage. Après la consultation de ce petit ouvrage, on en sait plus sur la Tchétchénie, mais on n’a pas vraiment découvert la martingale garante du succès. ♦