L'Idée républicaine en Europe (XVIIIe/XXIe siècles) : histoire et pensée universelles - volume I : La République universelle
L'Idée républicaine en Europe (XVIIIe/XXIe siècles) : histoire et pensée universelles - volume I : La République universelle
Alors que le projet de constitution européenne a été rejeté par près de 55 % des Français, on est fondé à s’interroger sur les raisons de ce refus. L’une des explications ne serait-elle pas la crainte de voir le projet républicain français, en dépit de sa vocation universelle, se dissoudre dans un ensemble qui lui serait irrémédiablement étranger, voire hostile ? Il est classique, en effet, d’opposer l’exception française aux conceptions sociétales du reste de l’Europe et du monde. L’idée laïque, notamment, serait incompréhensible aux autres pays.
C’est cette exception républicaine française que ce livre entend interroger. N’existe-t-il pas, ailleurs en Europe et dans le monde, des traditions et des forces politiques, minoritaires peut-être, mais entretenant avec l’idée de république des liens suffisamment forts pour qu’un dialogue fructueux puisse être établi entre elles et ceux qui, en France, se revendiquent des valeurs de la République ?
La réponse à cette question est bien évidemment lourde de conséquences politiques, surtout dans la perspective de l’élection présidentielle. La politique de la France dans la construction européenne et dans la politique internationale peut en être profondément changée.
Sur ce sujet neuf et important, cet ouvrage en deux volumes mobilise les compétences d’une équipe internationale, recrutée parmi les meilleurs spécialistes et références de la question républicaine dans les pays concernés, associant universitaires, journalistes, responsables politiques et associatifs issus de traditions politiques différentes mais convergentes.
Comme l’indique le préfacier, André Bellon, polytechnicien, ancien président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale : « Trop de nos concitoyens considèrent le combat pour la République comme achevé alors qu’il ne peut qu’être permanent. L’idée républicaine est une construction continue. Faire le point sur sa résonance dans le monde est donc un projet salutaire (…) Reconstruire la République passe par un inventaire sérieux dans le temps comme dans l’espace ».
Ainsi, les deux auteurs, Paul Baquiast, universitaire qui préside l’association des Amis d’Eugène et Camille Pelletan et Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité de l’Europe (IPSE) et chroniqueur régulier de la revue Défense nationale et sécurité collective ont-ils raisons lorsqu’ils rappellent que loin d’être la doctrine archaïque d’un autre siècle, le républicanisme est au contraire en phase étroite avec notre époque. En replaçant au centre de la réflexion politique la notion de bien commun (Res Publica), il est une réponse aux principaux défis de la mondialisation : le risque écologique, la menace d’un choc des civilisations, l’essor d’un libéralisme débridé, la multiplication des conflits liés aux religions.
Les mots, cependant, sont parfois piégés et celui de République est à utiliser avec la plus grande prudence, comme ils nous le rappellent. Selon la situation politique, le sens du mot ainsi que les problématiques afférentes peuvent être radicalement différentes.
Dans les monarchies constitutionnelles, le républicanisme peut apparaître comme une simple aspiration à rompre avec un régime désuet. Même si cette idée n’est pas totalement fausse, les choses ne sont en réalité pas si simples, comme en témoignent l’exemple du Royaume-Uni, de la Belgique et de l’Espagne, ou encore l’Australie et le Canada.
En ce début de XXIe siècle, la dialectique de l’idée républicaine et de l’idée monarchique, encore centrale au début du siècle dernier, est cependant devenue plus marginale. La question essentielle est celle de la relation entre République et Démocratie.
L’une et l’autre sont intrinsèquement mêlées. La première ne saurait exister sans la seconde. C’est donc sans surprise que les contributions évoquant l’idée républicaine dans les pays non démocratiques sont amenées à traiter à la fois de l’une et de l’autre.
C’est également la raison pour laquelle les républiques arabes comme les républiques islamiques ne sont que de fausses républiques. Les premières, mêlant pouvoir absolu, à vie et héréditaire, sont surnommées, en un jeu de mot arabe, des joumloukia (républico-monarchies). Les secondes sont des théocraties, considérant la république davantage comme un mode d’organisation du pouvoir que comme une vision spécifique de la société, et ne percevant pas dans les idées qui la régissent une contestation de fond.
Non que les sociétés arabes et musulmanes, au contraire de ce qui est trop souvent affirmé, soient récalcitrantes par essence aux concepts républicains, et notamment au concept de laïcité. La méconnaissance du monde arabo-musulman nous empêche souvent de voir la modernisation en cours de leurs sociétés, à l’ombre des prisons et des mosquées, notamment par le biais du développement des universités, des chaînes satellites et de l’Internet.
Dans les pays démocratiques, la dialectique de la République et de la Démocratie se pose en d’autres termes, définis il y a déjà dix ans par un Régis Debray opposant le libéralisme à la défense du bien commun.
Aux États-Unis – république cousine de la République française, abreuvée comme elle à la source de la philosophie des Lumières – le caractère républicain s’est effacé du langage courant au profit de celui de démocratie, en dépit de l’épithète de « républicain » porté par l’un de ses deux principaux partis politiques.
Dès les premiers temps, en conformité avec la devise de Patrick Henry : « Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort », la liberté y fut présentée comme le concept central, tandis que celui de République, pourtant revendiqué par les Pères fondateurs, restait dans leur esprit flou et mal défini. Aujourd’hui, c’est le messianisme démocratique, d’origine wilsonienne mais réinterprété par les milieux néo-conservateurs (composés de la droite dure alliée à d’anciens « liberals » issus des mouvements progressistes de la gauche) qui a mené les armées américaines sur les bords du Tigre et de l’Euphrate.
Dans ce contexte, qu’elle place reste-t-il pour le républicanisme d’influence française ?
Sur le plan de la philosophie politique, il se retrouve en convergence avec certains aspects du réveil de la pensée républicaine à travers le monde, comme la défense du règne des lois, l’importance conférée au civisme, la critique de la corruption, la thématique du « bien commun », le refus de la logique néolibérale et son affirmation péremptoire de la fin du politique. Ses affinités sont plus fortes, néanmoins, avec le renouveau républicain italien qu’avec celui des pays anglo-saxons, lequel fait grand cas de Tocqueville, mais bien peu de Condorcet.
Sur un plan moins intellectuel et plus pratique, le modèle américain semble l’emporter en Europe centrale et balkanique, non seulement du fait du rôle joué par les États-Unis dans l’effondrement du système soviétique mais, plus fondamentalement, de par son apparente meilleure adaptation au puzzle multinaltional des États issus de l’ancienne Autriche-Hongrie.
Quant au modèle français – État central, affirmation nationale, laïcité, rôle de l’éducation, politique sociale volontariste – il demeure une référence forte dans nombre de pays, en Europe, en Amérique latine, en Afrique et, plus encore, en Turquie.
La chute du communisme (1989 en Europe centrale, 1991 en Russie) a fait réapparaître une troisième voie alternative, entre libéralisme et marxisme, celle de la République. Longtemps allié contre le totalitarisme soviétique à un républicanisme qu’on avait pu croire discrédité par les attaques de l’extrême gauche contre sa supposée hypocrisie bourgeoise et sa défense des libertés formelles (« la forme emporte et résout le fond », affirmait Gambetta), le libéralisme est désormais entré en lutte avec l’idée républicaine renaissante pour imposer son seul leadership. ♦