Esquisse d'une stratégie mondiale (II) La « Mer » contre la « Terre »
Il nous faut maintenant envisager la deuxième face du miroir terrible où nous cherchons à voir le visage affreux de la guerre future, et considérer le cas où les deux blocs posséderont tous les deux la bombe, qui, du coup, perdra sa qualité essentielle d’arme décisive (1). Il y a alors peu de chances pour que nous assistions à une nouvelle guerre-éclair. Bien au contraire, il faut nous attendre à une longue et dure guerre d’anéantissement, réédition à l’échelle mondiale de l’éternel conflit entre l’éléphant et la baleine, entre la terre et la mer.
Dans l’histoire, les conditions générales d’un tel conflit sont bien connues. On assiste d’abord à une offensive générale de l’éléphant dont les forces terrestres sont telles qu’il est extrêmement difficile à l’adversaire de leur opposer un barrage résistant. Mais, comme l’éléphant n’a pas, par définition, la maîtrise de la mer, il lui est impossible de frapper son adversaire au cœur et il se trouve dans l’obligation d’assumer rapidement une stratégie de statu quo — comme le Japon l’a fait pendant la dernière guerre — c’est-à-dire de se mettre sur la défensive, à partir du moment où son offensive a atteint les « points-limites » chers à Clausewitz. À ce moment, la puissance de la mer, qui a pu développer sa force au sein des pays inviolés qu’a défendus sa supériorité aérienne et navale, reprend peu à peu l’offensive, attaque dans les presqu’îles, soutenue par les révoltes des peuples opprimés, et c’est finalement elle qui réussit à aller frapper l’adversaire au cœur, en occupant son territoire et en entrant triomphalement dans sa capitale.
Depuis l’avènement de l’aviation, les conditions générales de ce schéma ne sont guère modifiées à condition que la puissance de la mer possède aussi la supériorité aérienne. Dans la dernière guerre où le schéma n’était pas pur, puisque deux éléphants se dévoraient entre eux, il est certain qu’on retrouve tout de même les linéaments généraux de la théorie. Dans le conflit que nous envisageons pour l’avenir, le problème se posera d’une façon beaucoup plus nette. On peut donc essayer de voir, théoriquement du moins, ce qui peut se passer.
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