Les guerres bâtardes, comment l'Occident perd les batailles du XXIe siècle
Les guerres bâtardes, comment l'Occident perd les batailles du XXIe siècle
Arnaud de La Grange est le spécialiste de défense du Figaro, quand Jean-Marc Balencie est analyste stratégique dans le privé. Ils nous livrent un ouvrage court et stimulant qui permet de faire le point sur l’actuel cours de la guerre. Car il ne s’agit plus de guerre asymétrique, mais de la guerre normale d’aujourd’hui. Celle où le fort n’est plus aussi fort qu’il y paraît, et le faible bien moins faible qu’on le croyait.
Dans la guerre nouvelle, dite de quatrième génération, la volonté politique peut surpasser une puissance économique et militaire qui lui serait supérieure, notamment dans le champ médiatique : car « la guerre conservera son rôle de régulateur suprême des tensions et contradictions du système international ». L’insurgé innove, tactiquement mais aussi technologiquement, et entraîne la puissance technologique dans une course aux armements épuisante. Car l’attentat à l’aide d’une bombe de fortune ou d’une fougasse coûte 100 à 1 000 fois moins que les moyens technologiques développés pour s’en protéger. La puissance est ainsi contournée, car Israël doit par exemple payer jusqu’à dix millions de dollars pour éliminer un milicien du Hezbollah.
Après cette description du nouveau cours de la guerre, les auteurs tentent de décrire les raisons de cet échec « occidental » (même s’ils confondent allégrement occidental et américain) : on (re)parcourt ainsi les racines philosophiques de la considération de la guerre (le Hobbes américain contre le Kant européen décrit par Kagan), l’American Way of War (avec force citations de Colin Gray et Vincent Desportes), la vieille opposition entre Clausewitz et Jomini (à nouveau l’excellent Colin Gray, mais aussi Benoît Durieux et Bruco Colson), pour terminer par l’ivresse de la puissance américaine (et son succédané contemporain, la RMA). Le dernier chapitre évoque l’inévitable aggiornamento stratégique pour s’adapter à ces petites guerres, redécouvrir la nécessité de la conduite politique de la guerre, et établir à la fois la sécurité (qui n’est pas la guerre) et la reconstruction : David Petraeus, R. Peters, John Nagl, R. Smith et les aujourd’hui incontournables David Galula et Roger Trinquier sont ici cités comme il se doit.
En fermant ce livre agréable à lire, outre l’exposé bien troussé des débats stratégiques actuels, on retient une idée originale : celle de l’égalisation technologique et économique des insurgés qui imposent le renouvellement de la pensée stratégique. Car les voies paraissent ténues pour dépasser le « piétinement stratégique occidental ». Les auteurs se livrent dans leur conclusion, constatant « une ère bousculée par un double mouvement, celui de la contestation de l’Occident et, parallèlement, celui de la dérégulation de l’activité guerrière », que le monde se décentre, et qu’il faut croire René Girard affirmant que « le terrorisme apparaît comme l’avant-garde d’une revanche globale contre la richesse de l’Occident ». Avec pessimisme, ils affirment que « les guerres de démocratisation sont une illusion ». Et ils proposent peu de solutions…
Un livre stimulant, qu’on lit d’une traite et qui permet de faire le tour de la pensée stratégique contemporaine : tout candidat au CID devrait l’avoir lu. ♦