La République de Dieu
La République de Dieu
Voici un livre épatant. Moins pour la thèse que le titre annonce que pour les « études de cas » qui l’illustrent et qui sont de passionnants témoignages. L’auteur en effet, entré à la CIA en 1953, y a terminé sa carrière, de 1979 à 1984, comme chef des opérations à la Direction Moyen-Orient et Asie du Sud.
La République de Dieu se décline en deux versions : celle qu’a instaurée George W. Bush, dont on sait que le Seigneur inspire les décisions ; celle que prônent les islamistes. Mais ce n’est qu’au premier chapitre que l’auteur en traite, en une profession d’athéisme personnel : « Comment peut-on croire ? ». Cela dit, on vient aux choses sérieuses, en quatre cas concrets.
Iran 1979 : premiers pas de l’Imam Khomeyni au pouvoir et prise en otages du personnel de l’ambassade américaine à Téhéran. Charles Cogan, alors aux premières loges, décrit en détail le très affligeant fiasco de leur libération. Il suffisait, pour enrayer le montage précis et compliqué de l’opération, d’un grain de sable ; ce fut une tempête, phénomène climatique connu dans le pays sous le nom de haboob. Le président Carter boira le calice jusqu’à la lie : ce n’est que le 21 janvier 1981, jour de l’investiture de Ronald Reagan, que les otages seront libérés, au bon vouloir de Téhéran.
Sur l’Afghanistan communiste et la défaite soviétique, l’auteur a tout autant à dire. En particulier sur ce qui fait toujours débat, l’aide américaine aux moujahidines et la montée en puissance des islamistes, qui s’en serait suivie. Si la CIA fut bien l’acteur principal du retrait de l’Armée rouge, c’est au Service de renseignement pakistanais, distributeur des armes et parrain des factions afghanes, que l’on doit imputer l’essor des islamistes.
Indulgent pour la politique américaine en Afghanistan, Cogan condamne sans appel la décision de George W. Bush qui, en 2003, a jeté son armée dans le bourbier irakien. La première qualité d’un décideur, rappelle-t-il, c’est d’être capable de résister aux pressions de son entourage. Petit bémol et partage des torts : le soutien de Tony Blair fut, pour le président américain, déterminant.
Du conflit palestinien, quatrième cas d’école, l’auteur fait une analyse dont la simplicité convient à « l’Orient compliqué ». Tout le monde, affirme-t-il, connaît la solution : renoncement d’Israël à la Cisjordanie, renoncement des Palestiniens au retour des réfugiés, partage de Jérusalem. Si cette solution de bon sens n’est pas mise en œuvre, c’est faute de volonté des grandes puissances, et d’abord des États-Unis, où le Congrès est le complice tenace de la colonisation israélienne. Telle est pourtant la voie, mais n’est-il pas trop tard ? L’État d’Israël n’est plus sûr de lui-même et la perspective de sa disparition est désormais la préoccupation constante des Israéliens.
Après cette revue des régions chaudes, une conclusion de synthèse est bien venue. Elle tient en trois propositions. Quel qu’ait été l’aventurisme bushien en Irak, on ne saurait se réjouir de son échec ; au demeurant, « une victoire » est aujourd’hui plausible. Les questions énergétiques, sans cesse évoquées dans le discours des stratégistes, doivent être laissées à leur place, laquelle est commerciale et non pas militaire. Retour, enfin, à l’identité américaine : les États-Unis peuvent-ils devenir un pays comme les autres ? Il leur faudrait, choisissant entre leurs deux devises, exalter E pluribus unum et abandonner In God We Trust. ♦