Qui a peur de la Corée du Nord ?
Qui a peur de la Corée du Nord ?
La Corée du Nord n’est pas Virginia Woolf, Claude Helper ne remplace pas Albee et son ouvrage (paru dans la collection « Points sur l’Asie ») ne vise pas la simple vulgarisation, dans la mesure où il décrit les événements par le menu et les protagonistes avec la finesse d’un psychologue.
Le livre comporte quatre parties très inégales en volume. Entre un bref historique de la partition de la péninsule et quelques considérations sur des perspectives d’avenir encore bien floues, les deux copieux chapitres centraux concernent d’une part les éléments parallèles et complémentaires qui firent scandale, à savoir la munition (l’engin nucléaire) et son lanceur (le missile), d’autre part les négociations qu’on serait bien souvent tenté de qualifier de pugilat diplomatique ou de poker menteur. Après la fièvre des deux démonstrations de 2006 de la part de Pyongyang, le tir du Taepodong-2 le 4 juillet (comme par hasard la date de l’Independence Day) et l’essai atomique du 9 octobre, un chemin tortueux a conduit en février 2007 à l’accord dit « Beijing Deal » dont on peut espérer, de « round » en crise, que des mesures concrètes finiront par émerger du brouillard, au mieux avant le départ de l’actuel président américain et de sa secrétaire d’État.
Claude Helper évite de trop diaboliser les Nord-Coréens. Il ne faut pas selon lui sous-estimer le niveau de Kim Jong-il, de ses techniciens ni de ses négociateurs, tous porteurs d’une indéniable fierté nationale, d’une « mentalité d’assiégés », d’un besoin de reconnaissance et de convictions réelles, affichées ou non, et finement analysées ici. En face, l’auteur n’épargne pas l’Administration Bush (ne serait-ce pas un peu une mode par les temps qui courent ?) « arrogante… d’attitude obtuse… oscillant entre la muflerie et la bêtise… en total mépris du droit international… » et handicapée dans la perspective d’« opérations préventives » par son « échec magistral en Irak » ! Plus instructif peut-être est l’examen détaillé des positions des autres membres du groupe des Six qui se penche sur la question : Tokyo suit Washington ; les Russes ne se compromettent pas tout en cherchant les occasions de « reprendre pied dans la région » ; la Chine navigue avec précaution et est moins influente qu’on pourrait le penser auprès d’un « petit frère communiste » parfois incontrôlable ; quant à la Corée du Sud, elle partage au fond avec sa voisine, et momentanément rivale, du nord le rêve d’un pays réuni dans l’indépendance et étouffé ni par la Chine, ni par le Japon. Elle fait volontiers passer quelques secours, et (ô paradoxe !) certains de soutenir qu’elle pourrait bien bénéficier un jour d’un parapluie nucléaire national !... somme toute « ultime moyen pour les faibles de s’assurer un minimum d’égalité en matière de sécurité ».
En réalité, le nucléaire nord-coréen semble loin de présenter une menace immédiate. Les essais, d’une valeur surtout symbolique, auraient connu un « demi-échec » sur le plan technique, tandis que des constellations de satellites-espions perfectionnés veillent sur la moindre incartade (encore qu’elles renseignent plus sur l’inévitable base de Yongbyon que sur les lieux effectifs de stockage). Tout au plus, la Corée du Nord détient-elle ainsi un instrument de chantage. Mais l’affaire se complique d’à-côtés comme le kidnapping de ressortissants japonais, l’épisode certes ancien des « femmes de réconfort », le dépôt de grosses sommes dans les banques de Macao et les accusations de fabrication de fausse monnaie. Par ailleurs, le problème « déborde le cadre de la péninsule », notamment en raison des liens étroits tissés avec l’Iran et le Pakistan, voire de l’éventualité de vente à des organisations terroristes.
Si l’on comprend bien, même s’il existe des faucons dans chaque camp, les Nord-Coréens n’ont nullement l’intention de déclencher un feu qui sert plutôt « d’assurance contre un changement de régime et de monnaie d’échange contre une assistance économique », tout en permettant de gagner du temps. De l’autre côté, les réactions américaines sont relativement modérées, le but réel de Washington étant de faire tomber un régime qui a curieusement survécu à la disparition du père. Quant à l’ONU, elle se contente de priver les Nord-Coréens de montres Rolex, de cognac Hennessy et de motos Harley Davidson (sic). Comment en sortir : un traité de paix si longtemps retardé ; une solution ukrainienne ?
Signe des temps, les très nombreuses citations sont toutes en anglais. Non anglophones s’abstenir ? Pas tout à fait, « dangerous moment », on comprend ; « carrots and sticks », à la rigueur. Il reste difficile, et un peu agaçant, d’admettre que Kim Il-sung s’entretenait avec l’ambassadeur soviétique dans la langue de Shakespeare et surtout qu’il en était de même pour les « panneaux de propagande » placardés dans les rues de Pyongyang pour l’édification de la population (voir par exemple p. 147 et 148). ♦